À l’heure où Infinity War s’est enfin engagé dans l’arène, il me restait encore à découvrir le troisième opus dédié à Thor, l’iconique « Lord of Thunder » selon quelques esprits peu regardants : à sa sortie, Ragnarok s’était attiré un semblant de consensus on ne peut plus positif, et beaucoup s’accordaient à dire que Taika Waititi n’y était pas indifférent.
Ne le connaissant ni d’Ève ni d’Adam, et à l’aune des récurrentes perversions qu’induit tout bon film de commande, surtout les blockbusters tenus d’une main de maître par les mastodontes hollywoodiens, le doute ne pouvait qu’être permis : c’est à ce titre que la réussite, et l’effet galvanisant, que s’octroie et communique Ragnarok sont si prégnants. Multipliant en ce sens la perception de ses forces, et minimisant par voie de conséquence ses faiblesses, j’aurais tout bonnement été bluffé : encore à posteriori, outre le mérite revenant de droit à Waititi et son équipe, cette énième pierre apportée à l’édifice du MCU m’apparaît comme étant l’une de ses plus éminentes.
L’effet d’un cahier des charges supposément contraignant aura donc été aux abonnés absents, le film arborant de fait une profondeur créative surprenante : à l’échelle d’une production Marvel, pareille direction artistique prend alors des proportions inattendues, d’autant que le rendu est ici des plus admirables. S’extirpant d’une signature usuelle comme redondante, Ragnarok s’illustre ainsi au gré de plans léchés, inspirations picturales tenant de l’offrande à nos rétines avides, une composante guerrière parfaitement exploitée et, surtout, une BO accroissant à n’en plus finir le fun épique composite de ce divertissement haut en couleur.
À l’image d’un Deadpool, en dépit de de ses indissociables défauts, ayant marqué un tournant dans le ton habituellement réservé aux récits super-héroïques, il semblerait que le MCU ait bel et bien lâché du lest : moins policé qu’escompté, visuellement bigarré (mais cohérent dans sa variété) et plutôt « stylisé » dans son approche, cette signature formelle se fait l’écho d’un récit faisant sien un pitch sombre et de multiples ressorts comiques.
Avec ses petits airs rétros, pareils à une veine « Gardiens de la Galaxie » pleinement assumée, Ragnarok jongle en effet entre ambiance résolument jouasse et intrigue faussement légère : frisant de la sorte un équilibre paradoxal, comme pouvait l’être justement le génial susnommé de James Gunn, le long-métrage délivre une bouffée d’air frais aussi bien matérielle que « spirituelle ». Comme décrié par certains, le cas d’Hela est néanmoins sujet à débat : la rupture qu’induit une autodérision constante (et ses punchlines mémorables) pourrait tendre à décrédibiliser la menace qu’incarne la sœur damnée… mais le rendu est à mon sens tout autre.
Ajoutant au supplément d’âme bienvenu dont se pare de bout en bout Ragnarok, la construction de cette antagoniste de luxe illustre une trame bien ficelée : background familial étendu, adversité frisant l’insurmontable et résolution en mode pied-de-nez, le film foule du pied les développements habituels au bénéfice d’un dénouement tout en panache. Qui plus est, Hela constitue également un rouage prédominant dans l’exploitation, évolutive, de la fratrie Thor/Loki, encore et toujours attachante : et par-delà l’envers « brute » (mais si grisant) du cap franchit par le Dieu du Tonnerre, portant enfin bien son nom, force est de constater que la trame s’autorise avec succès d’intenses séquences… remuant alors avec grand fracas une ligne de conduite avant tout hilarante.
Bien entendu, tout n’est pas idyllique : le challenge posé par Hela a beau être dantesque, au même titre qu’une ribambelle de ressorts scénaristiques, le long-métrage s’encombre de quelques facilités génériques entachant son originalité chronique. On relèvera notamment les allées et venues d’un Heimdall incognito, les retournements de veste incessants de Loki (quand bien même partie intégrante de ce dernier) et la prévisibilité quant à l’utilité de la Valkyrie (quand bien même le personnage serait une belle surprise) ; à noter aussi un semblant d’excès de zèle en ce qui concerne la primauté du peuple (et non pas celle d’Asgard), le long-métrage tirant un peu sur la corde en ce sens (cette morale archi-connue aurait gagné à être moins rabâchée en bout de course).
Mais bien plus encore, un coup de gueule s’impose : en dépit de ma propension à éviter les trailers de tous poils, il était tout bonnement impossible de ne pas connaître à l’avance le « sort » réservé à Hulk. Indépendamment de tout spoil en partie dû à mon retard de visionnage, l’info était donc d’ores et déjà connue à l’époque de la sortie du film, et le découvrir alors ou seulement maintenant aurait eu certainement le même effet : quel incommensurable gâchis. Ragnarok se sera dans cette optique tiré une sacrée balle dans le pied, celui-ci s’interdisant un rebondissement (quand bien même le spectateur aurait nourri des doutes croissants) délectable quant à l’identité du fameux « Champion » invaincu : la déception est d’autant plus prononcée que le duel qui en résultera s’avère proprement exceptionnel, et ce pas uniquement eu regard de sa propension musclée.
Cependant, ces quelques bémols se digèrent aisément à la mesure du film, qui demeure vraiment excellent (au point de, peut-être, le surnoter… ou pas) : d’ailleurs, Bruce Banner confirme une écriture globalement fine au travers d’un approfondissement fort efficient, et ce sans trop en faire (empathie, check !). Pour le reste, le casting aux petits oignons (telle une Cate Blanchett charismatique) parachève cette franche bonne surprise, Ragnarok étant parvenu à lier empreinte hilare et pan épique au service d’un récit (trame & personnages) on ne peut plus plaisant… soit un divertissement haut en couleur s’étant taillé une place de premier ordre au sein du MCU.