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En adaptant le roman noir de l'américain David Goodis François Truffaut surprend. Mais après le succès de son premier film, Les 400 coups, ce projet lui semblait nécessaire. Car cette nouvelle légitimité lui faisait peur.


Il a alors besoin d'un film qui lui permettrait de revendiquer son influence américaine, de rendre au cinéma américain ce qu'il lui devait. Pour ne pas laisser croire qu'il ne pouvait réaliser que des films au caractère bien français,comme Les 400 coups l'était selon lui.


C'est l' histoire d'un pianiste modeste, Charlie Kohler, qui joue dans un petit bar. Son frère le retrouve, et vient avec ses ennuis. Il va se retrouver pourchassé par des brigands.


Et c'est donc une histoire de film noir, avec ses victimes, ses malfrats. Avec quelques plans qui rappellent forcément le genre, comme l’importance de l'obscurité dans les cadrages. Mais François Truffaut adapte, il ne décalque pas. Il y a une grande ironie, du détachement. Ces gangsters ne sont pas que des brutes et se permettent quelques réflexions. De ce personnage principal de pianiste chétif, le cinéma américain en ferait un héros-contre-tous, Truffaut le montre impliqué malgré lui, peu concerné.


Et c'est aussi un des points forts du film, le personnage de Charlie. Il a vécu un drame. Pianiste célèbre, renommé, jouant dans les plus grandes salles, et pourtant qui finit par jouer dans un petit cabaret, dans l'anonymat d'un petit ensemble. Le retour de son frère va l'obliger à renouer avec sa famille, sa nouvelle relation amoureuse va vouloir lui redonner son lustre de grand pianiste, et tout le film repose là-dessus, si ces attaches vont changer Charlie et vers quoi.


Il est évident qu'il y a derrière le personnage de Charlie la peur de François Truffaut d'être devenu célèbre, renommé. Son héros est passé de célèbre à inconnu, le cinéaste est passé de la discrétion à la reconnaissance. Mais il sait bien que c'est une situation fragile, et qu'être au sommet entraîne de nouveaux problèmes.


Faut-il y voir aussi cet aspect dans le choix de Charles Aznavour dans le rôle principal ? Le chanteur n'a alors pas la reconnaissance de maintenant. Son premier succès public J'me voyais déjà sort peu de temps après le film. Une chanson qui parle d'artiste et de reconnaissance, en contre-point du thème du film d'ailleurs. Il avait participé à quelques films, mais c'est la première fois qu'il obtient le premier rôle. Et c'est un franc succès, avec un jeu sobre mais las, résigné, qui correspond très bien au personnage de Charlie, à moins qu'il n'ait été que le reflet de la situation personnelle de Charles Aznavour à ce moment. De Charles à Charlie, il n'y a que quelques lettres.


A ses côtés, de très bons acteurs tels que la débutante Marie Dubois au regard perçant, qui joue la nouvelle rencontre amoureuse de Charlie. Nicole Berger interprète sa première femme tandis que Michèle Mercier joue un rôle bien plus dénudé que ce que le public français retiendra d’elle par la suite avec Angélique et ses épaisses robes. Les femmes ont un rôle important dans le film, incarnant soit le passage vers la nouvelle vie de Charlie, soit son maintien dans sa situation soit l'envie de le voir retourner à sa célébrité.


Quant aux hommes, ils représentent avant tout le conflit, celui qui pousse Charlie à décider de son sort. Qu'il s'agisse des hommes de main à ses trousses, de ses frères ou du patron du bar, ce sont des obstacles. Signalons, heureusement sur une note moins interventionniste, la petite apparition de Bobby Lapointe, le chanteur de l'ensemble où joue Charlie, qui interprète ici deux de ses chansons.


Le deuxième film de François Truffaut est un tel contre-pied aux 400 coups qu'il ne sera guère apprécié à sa sortie. Avec Jules et Jim le cinéaste reviendra à un esprit plus « Nouvelle vague », ce que le public français attendait de lui. Pourtant, il connaîtra un beau succès aux États-Unis, qui auront apprécié cette relecture d'un de leurs genres fétiches. Il sera rebaptisé « Don't shoot the pianist », en raccord avec l'expression (« Please Do Not Shoot the Pianist. He is Doing His Best ») et peut-être aussi par censure.


Mais en l'extirpant de tout ce contexte fascinant qui entoure le film, de sa production à sa réception, il s'agit pourtant d'une création très inspirée, qui adapte un genre de façon très personnelle. Le film parle de la résignation avec une distance douce et amère. La violence du film noir est ici personnelle, étouffée par un Charles Aznavour qui s'est fondu dans son personnage

SimplySmackkk
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le 3 sept. 2019

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