D'une certaine façon, "Tirez sur le pianiste" est à Truffaut ce qu' "A bout de souffle" est à Godard, non pas son film fondateur mais le polar revisité et revu sur un mode très personnel, anticonformiste. Du film noir, Truffaut emprunte la trame. où l'on apprend l'histoire de Charlie, pianiste de bar, ancien brillant concertiste, un type un peu terne placé malgré lui au centre d'un règlement de compte entre truands.
L'intrigue est somme toute rarement déterminante, d'autant qu'elle n'est pas fondée sur un quelconque suspense de nature policière. Ce sont l'originalité des personnages -au premier rang desquels l'atypique et docile anti-héros joué par Charles Aznavour- et les considérations sensibles de Truffaut dans cette drôle de manière de série noire qui forcent l'intérêt. Si, sur le fond, l'histoire de Charlie est dramatique, les péripéties et les seconds rôles sont souvent du domaine de la parodie volontiers farfelue. Le réalisateur invente des personnages de polar qui sont comme des figures libres, pas nécessairement réalistes -au contraire- exprimant des sentiments et un humour généralement absents du film policier. On découvre à travers eux l'humanisme de Truffaut et, étendu à sa mise en scène d'apparence primesautière, son rejet des conventions.