La déconstruction scénaristique est un genre auquel bien des réalisateurs se sont essayés. La frontière existante entre l’absence volontaire de didactisme, vouée à tromper le regard du spectateur, et une écriture rendue absconse par une utilisation excessive de ce procédé, constitue cependant une maigre limite que beaucoup d’eutre-eux franchissent allègrement. Ainsi, peut-on voir les enjeux de certaines œuvres être parfaitement illisibles et le contenu visuel, dans lequel celles-ci s’inscrivent, continuer pour autant à faire l’objet d’une ferveur collective. Car le déconstructivisme, souvent considéré par le cinéma expérimental comme le gage ultime de qualité, devient alors bien souvent une fin en soi, le réalisateur multipliant les effets de style et se fourvoyant quand il occulte volontairement la dimension littéraire de son film.
On devine bien les intentions de Julia Ducornau dans Titane. Le regard qu’elle invite à poser sur le corps féminin n’est finalement pas si saumâtre, puisque, c’est par son prisme que le film trouve tout son intérêt - notamment par le recours constant aux gros plans puis aux scènes dépeignant une héroïne en proie à une trans-formation éprouvante ; métaphore filée, bien évidemment, de la difficile acceptation de la trans-identité au sein de la société. Mais à l’instar d’un David Cronenberg qui aurait trouvé un nouvel intérêt dans les Gender Studies, Ducournau scrute scrupuleusement les stigmates du corps juvénile de sa protagoniste, sans assumer pour autant son affiliation certaine au film de genre.
Car c’est surtout dans ce registre que la réalisatrice est la plus percutante. Mais festival de Cannes oblige, les allures du film-spectacle se font toujours plus grossières lorsque les attentes du public sont par dessus tout celles du sensationnel-à-tout-prix. La trame du début, relatant les extravagances d’une psychopathe loufoque reconvertie au pole danse, aurait en effet suffit à faire de Titane un très bon film de genre. De même que l’insertion d’Alexia dans l’univers pimpant du salon automobile et des jantes en chrome, représentation allégorique de la psyché masculiniste, constituait une idée particulièrement bien venue pour construire l’archétype d’un personnage si caractéristique du film de genre.
Cependant, même si le propos aurait tout de même gagné à être moins asséné, c’est surtout l’aspect protéiforme du film et la superposition des nombreux scenarii qui le rendent a fortiori complètement inextricable. Ainsi, au visionnage, on ne comprend plus très bien quel est le véritable sujet du film : la scarification d’Alexia pour interroger la violence systémique faite aux femmes ? La contemplation d’un fantasme jugé trop tordu pour questionner notre rapport à la normalité ? Ou bien celui d’une cellule familiale qu’on ne choisit pas ? - celle, à l’instar d’un Vincent Lindon en père testostéroné un peu trop possessif, imposant à sa progéniture le diktat de l’amour, par peur de manquer d’une quelconque réciprocité.
Au final, le voile volontairement posé sur l’intrigue nous empêche même d’apprécier la seconde partie du film tant les efforts de la réalisatrice pour rendre son actrice plus empathique sont vains - tentative évidemment vouée à l’échec puisqu’elle entre en contradiction avec la construction d’un personnage mutique et imperméable dans le début du film (du moins parce-qu’aucune transition n’est posée entre les deux parties). Ainsi, la danse d’Alexia dans la caserne avec son père factice ou la scène du massage cardiaque (sans parler de l’émotion d’Alexia soudainement révélée après la réussite de son geste) constituent, au moins des moments-émotions malaisants, sinon des envolées lyriques largement dispensables.
Le spectateur pourra in fine se délecter devant l’esthétique pop et les couleurs criardes de Titane si celui-ci est avant-tout féru des effets spéciaux à gros budget ou des décors rutilants à la Wes Anderson. En revanche, pour le cinéphile attaché à la construction d’un véritable cadre cohérent, la cuite titanesque offre des perspectives de réveil bien moins prometteuses…