Lorsque j'avais vu Titane (2020) le second long métrage de Julia DUCOURNAU en salle j'étais plus que réservé à son endroit, d'abord j'avais trouvé le ramdam fait autour de son premier film Grave (2016), quelque peu excessif, le film ne m'étant pas apparu aussi génial que ce que les critiques de l'époque laissaient penser, je trouvais l'icônisation quasi instantanée de cette néo réalisatrice, nouvelle papesse du genre en France prématurée et je pensais à ce phénomène que l'on observe très (trop) souvent dans le monde de la musique du groupe ou du chanteur qu'on présente comme le nouvel Elvis après un album prometteur mais perfectible et qui se révèle être une comète incapable de réitérer l'exploit.
A la sortie de la salle, même si globalement j'avais passé un moment pas dénué de plaisir, je trouvais que la cinéaste s'embourbait dans ses références, semblant ne pas se les approprier et être dépassée par ses glorieux ainés qu'elle citait à mon sens de façon peu subtile, Le Crash (1996) de David CRONENBERG étant la plus forte mais il y en a d'autres. Cette réserve entrainant dès lors pour moi une incompréhension sur le projet global de l'œuvre qui venait de m'être proposée. Qu'avait elle voulu exprimer ? Fallait il voir ce film comme l'expression d'une prise de position politique sur notre société qui m'échappait ou un simple exercice esthétique dans lequel chaque spectateur apportait sa subjectivité ? N'essayait elle pas d'aborder trop de sujets donnant le sentiment de n'en traiter finalement aucun de façon exhaustive et de tout laisser inachevé ?
Néanmoins sa palme à Cannes ainsi que quelques discussions avec des personnes autour de moi ayant été plus séduits que moi, me faisaient penser qu'il faudrait que je le revois une fois toute l'agitation retombée, c'est donc ce que j'ai fait et, oui, mon avis a changé et s'est amélioré.
En premier point j'ai fais abstraction de ses influences et citations, ce qui m'a permis deux choses, la première étant de comprendre que ces dites références certes évidentes et assumées étaient toutefois exécutées avec un regard, avec un point de vue et une approche parfois diamétralement opposées, parfois complémentaires. La seconde étant que si effectivement le film aborde beaucoup de thèmes, ils appartiennent cependant au même champ lexical et que ma première impression d'un film qui n'osait pas conclure ses sujets ne valait plus.
Le film est en premier lieu un film sur la transmutation, la transidentité, la fluidité des genres qui s'exprime tant dans les choix de lumières, de textures, de matériaux, de couleurs que par le personnage de Alexia/Adrien dont déjà l'aspect androgyne signifie beaucoup, dans ce film c'est la féminité qui est pulsion de mort, violence et si dans la scène d'ouverture, au passage un plan séquence d'une maîtrise technique folle, la femme est hypersexualisée, rapidement le scénario et la mise en scène balaient cette approche pour cueillir le spectateur et lui indiquer la tromperie des apparences. En opposition, presque en antithèse la virilité symbolisée par l'univers militaire et exclusivement masculin des pompiers, ne cesse de jouer sur des ressorts érotiques qui se voudraient machistes mais renvoient systématiquement à des symboles homosexuels, plusieurs fois j'ai lu ou entendu l'expression "crypto gay", j'irai plus loin en supprimant le préfixe crypto.
Dans un deuxième mouvement, mais qui se joue en imbrication avec le premier, c'est un film sur la monstruosité mais qui n'a de cesse de quérir la beauté qu'elle peut cacher, de jouer sur l'attraction et la répulsion qu'elle peut engendrer dans nos regards et notre appréhension du différend, de l'anormal. Les deux personnages principaux sont l'un comme l'autre des monstres que ce soit Alexia absolue psychopathe, voire sociopathe au comportement et aux agissements moralement discutables et je fais ici dans l'euphémisme ou celui de Vincent, qui m'a fait découvrir une facette de Vincent LINDON que je ne soupçonnais pas et qui déjà au premier visionnage m'avait emballé, qui sait pertinemment que ce n'est pas son fils disparu qu'il a retrouvé et qui même refuse de voir l'évidence malgré les signaux de proches qu'il ne veut ou ne peut capter. La rencontre de ces deux êtres perdus dans leurs chaos internes, les conduira finalement à une forme d'amour, débutant dans un maëlstrom de violence physique, psychique, de fluides et de corps déformés, martyrisés pour s'achever dans la pureté d'une naissance, qui conclura de façon définitive pour Alexia et sous la forme d'une renaissance symbolique à la réalité pour Vincent. La monstruosité, encore une fois, source de beauté, mais qui se mérite, qui ne s'offre pas comme évidente et universelle.
Enfin le film touche au fantastique, au surnaturel, avec cette grossesse fruit d'un amour contre nature avec une voiture, qui pose le sujet du transhumanisme, de l'humain augmenté, du devenir de l'homme en tant qu'espèce, de son évolution possible et du coup le titre du film "Titane" renvoie bien sûr au métal mais aussi aux Titans, déités primordiales de la mythologie grecque, inséminateurs d'une nouvelle humanité, débarrassée de ses carcans, plus fluide, moins manichéenne ou plutôt moins prisonnière de ses propres contours. En cela j'ai reconnu l'un des leitmotiv d'un mouvement né aux USA, mais présent aussi en Europe, qui me passionne, que l'on nomme les "nouveaux primitifs", mouvement de performances artistiques de modifications corporelles extrêmes ou de performances scéniques dérangeantes de maltraitance du corps.
En conclusion, si comme moi, vous aviez été peu enthousiaste quant à ce film, redonnez lui une chance, c'est un film bien plus intelligent et réfléchi qu'il n'y parait, qui n'est finalement pas aussi étouffé par ses références que ça, qui ouvre des questionnements inédits ou encore trop rares sur l'altérité et notre rapport à la différence, qui a la politesse d'établir avec son spectateur sinon une vérité indiscutable au moins un point de vue radical.
Attention à tous les réactionnaires qui balancent l'adjectif débile tant il a été vidé de son sens initial, woke, dès qu'une œuvre ou un discours abordent des thématiques progressistes, n'y allez pas, vous allez nous faire des descentes d'organes et souffrir physiquement de voir vos idéologies du bien, du mal, de la norme, du cours naturel des choses, de votre suprématie vacillante autant bousculées.