La boxe est à l’image de la vie : on prend des coups, on tombe puis on se relève, et ainsi de suite. Cette métaphore cyclique a fait les beaux jours de la saga Rocky, à laquelle l’introduction de Tokyo Fist rend hommage. Le titre du film est affiché à deux reprises : une première fois en grandes pompes lors d’une séquence où le protagoniste boxe comme un démon, puis une seconde fois de manière bien plus sobre lorsqu’il attend le métro. L’homme derrière la légende dans Rocky, le monstre derrière l’homme dans Tokyo Fist.
« Je hais le Japon. Pourquoi y suis-je né ? » (Nightmare Detective)
Tsukamoto filme les quartiers d’affaires de Tokyo avec une extrême froideur, cette ville surchargée et déshumanisante qui aliène des salarymen par milliers. Cette dénonciation prend la forme d’une séquence lyrique dans laquelle Tsuda se perd dans des décors vides, avec un montage flottant comme dans un rêve : les transitions sont à la fois douces et franches, un tremblement de terre s’amorce le temps d’un court plan. Une rage intérieure gronde.
« Notre amour peut détruire cette saloperie de monde ! » (Tetsuo)
Comme tout bon aliéné, Tsuda a de quoi s’évader : le sexe et l’amour sont un tranquilisateur social, renvoyant l’Homme à ses pulsions primaires. Hizuru entretient une relation désincarnée avec Tsuda, rythmée par les excès de colère et la jalousie de ce dernier. Chez Tsukamoto, tout n’est que violence et sexe : après être réapparu dans la vie de Tsuda, Kojima viole Hizuru. Cette dernière quitte son compagnon pour son agresseur, avec qui elle noue une relation toxique.
« Tu es en train d’enseigner la boxe à un monstre. Tu pourrais être sa première victime ! » (Tokyo Fist)
Le cinéaste plonge ses personnages dans un cauchemar incohérent aux rapports de force confus. Tsuda se faisant humilier par Kojima, il se met en tête de devenir un champion de boxe, mais son entraînement et sa fureur le métamorphosent en démon. Kojima prend peur ; le double maléfique devient la victime. Hizuru prend l’ascendant sur Kojima, qu’elle pousse dans des excès virilistes. Le film montre la trajectoire de trois êtres en souffrance, qui tentent tant bien que mal de s’en sortir : personne n’est qu’une victime, tous se laissent dominer par leurs penchants sadiques. Tsukamoto n’adopte pas la posture de l’intellectuel qui prend position mais de l’adolescent qui dégueule son mal-être au monde. Destruction et automutilation ne font qu’un, dans une volonté que tout disparaisse avec soi.
À l’image des films de Philippe Grandrieux, la mise en scène de Tokyo Fist est profondément pulsionnelle : les mouvements de caméra sont hasardeux et organiques, les images n’obéissent pas à une logique de cohérence mais de sensations. Le montage est survolté, absorbant certaines images pour les rendre presque subliminales. L’abondance de violence crée un rejet instinctif de certaines séquences. La réalité est constamment déformée pour revenir à des sensations primaires : fascination et rejet, adrénaline et épuisement.
Tokyo Fist est un patchwork fascinant entre un film d’horreur, un shōnen et une descente aux enfers, teintée d’une vision extrêmement noire du monde. Rarement un cinéaste aura mis en scène le mal-être et la fureur d’une façon aussi saisissante et malsaine. Il en résulte un festival de violence profondément cathartique qui se situe quelque part entre Taxi Driver et Fight Club, parmi ces grands films sur la marginalisation et la masculinité.
Site d'origine : Ciné-vrai