Un opéra rock en forme d'autocritique du star system
Film adapté d’une comédie musicale présentée au théâtre par les Who, "Tommy" est entièrement chanté, comme un opéra. Il bénéficie d’un casting impressionnant comportant entre autres Eric Clapton, Elton John et Tina Turner, cette dernière interprétant « Gitane, Reine de l’Acide », une prostituée spécialisée dans les drogues dures. L’influence du théâtre est très présente dans cette œuvre, à la fois dans la constitution des décors et dans la transition entre certaines scènes. Le tout fait beaucoup penser à "The Wall" (Alan Parker, USA, 1982), le film des Pink Floyd, notamment à travers une évocation assez proche des thèmes de la guerre, de la folie et d’une forme de libération.
Tommy, né le jour de la fin de la Seconde guerre mondiale, est élevé seul par sa mère, son père étant mort sous les drapeaux. Mais après quelques années sa mère s’entiche d’un nouvel homme, Frank, directeur d’un club de vacances, qui prend place dans la famille. A ce moment-là, le père réapparaît, bel et bien vivant, et les deux amants l’assassinent. L’enfant, qui a tout vu, sombre dans le mutisme, il devient aveugle, sourd et muet, ce que le film symbolise dans une scène en recouvrant sa tête d’un cube noir. Malgré les efforts de sa mère et de son beau-père pour le guérir, Tommy ne sortira pas de cet état jusqu’à l’âge adulte, semblant ne retrouver des perceptions que face à un miroir. Confié tour à tour à un cousin sadique et à un oncle pédéraste, emmené dans une étrange église dévolue à Marylin Monroe et réputée pour ses miracles, son état va en s’aggravant. Toutefois, malgré son handicap il devient champion de flipper et bat les plus grands, jusqu’à ce qu’il retrouve ses capacités normales et, de champion, devienne carrément messie. La dernière partie est alors consacrée à une critique du système de starification, qui divinise des vedettes et met en place autour d’eux un processus de marchandisation à outrance.
Qu’on apprécie ou pas la bande originale de ce film, le jeu et la mise en scène sont impressionnants, imaginatifs et bourrés de symboles. On pense notamment à ces filles en sous-vêtements et masques à gaz qui courent dans les rues lorsque la guerre éclate, au lit en forme de cage dans laquelle dort la mère de Tommy en attendant le retour de son mari au front (référence à la ceinture de chasteté), aux avions de guerre qui recouvrent le papier peint de la chambre de l’enfant, à la communion à base de médicaments et de whisky servie dans l’église par des officiants portant des masques de Marylin Monroe, au T de Tommy devenu l’image d’une croix chrétienne tronquée, emblème d’une nouvelle religion. Quittant le rôle de l’ahuri frisé qu’il était pour celui d’une figure christique et rédemptrice, Tommy ramène la paix jusque dans les rixes entre motards mais il appelle à une prise de conscience par le fait de s’aveugler, de s’assourdir et de se taire… Si c’est un film à message, le spectateur est juge d’en conclure ce qu’il veut.
Un bon point aussi pour les décors très réussis, de l’usine d’armement où travaille la mère jusqu’au cimetière de voitures où le héros joue au flipper en passant par le camp de vacances sectaire qu’il finit par mettre en place. Ce film contient certes quelques longueurs, surtout pour le spectateur qui n’est pas fana de rock, mais l’ensemble est plutôt bien rodé.