Les frères Dardenne font un beau film, qui aurait pu l’être plus si on ne sentait pas autant la présence des Dardenne dans le film. Le scénario est sur-écrit et ne fait pas confiance à son histoire. Le duo ressent en permanence le besoin d’en rajouter une couche. C’est dommage.
Le film suit un jeune garçon et une adolescente venus seuls d’Afrique dans la longue quête de cette dernière en Belgique, de nos jours. Aux difficultés de la vie, ils opposent leur invincible amitié aux difficiles conditions de leur exil.
Le film a commencé par sensiblement m’énerver, non pas par le sujet ni l’inhumanité des belges et de l’administration qui imposent des conditions de vies épouvantables aux deux jeunes immigrés mais plutôt par l’insistance des deux cinéastes à faire advenir aux deux jeunes migrants les pires évènements. Lokita n’arrive pas à obtenir des papiers qui lui permettrait de faire sa formation d’aide-ménagère. Conséquemment, elle deale avec le garçon qu’elle fait passer pour son frère pour le compte d’un restaurateur. Ce dernier la force à se soumettre à des actes sexuels. Pour obtenir de faux-papiers, elle doit cultiver des plants de cannabis dans un entrepôt où elle est enfermée. Elle doit faire face à la pression de sa mère à qui elle doit envoyer de l’argent, elle doit subir des interrogatoires judiciaires pour obtenir ses papiers lui faisant faire des crises d’angoisse, elle doit rembourser le passeur qui l’a fait passer elle et son « frère ».
J’ai trouvé que trop, en tout cas dans la manière dont les séquences sont montées, alignées. Il ne s’agit pas de dire que tout cela n’existe pas, n’est pas vrai. Mais on sent constamment les (grosses) pattes des scénaristes Dardenne pour nous montrer à quelle point deux jeunes migrants sont traités de manières inhumaines. Le scénario est au service d’une thèse, d’un discours plutôt que d’une histoire. C’est une erreur.
Heureusement, ce sentiment d’exaspération m’a quitté, ou en tout cas j’ai fini par ignorer cette lourdeur scénaristique. En effet, les Dardenne savent susciter une belle émotion. Le film est assez bouleversant. Les frères cinéastes filment à la juste distance et avec pudeur ce duo. On est à leur hauteur. C’est la résilience du duo, leur solidité qui touche. C’est un film sur la foi. La foi laïque même si leur itinéraire relève du chemin de croix. La foi en l’autre, la foi en l’avenir, la foi de s’en sortir, la foi en un pays dont ils pensent qu’il leur offrira une vie meilleur. Bien sûr, c’est aussi leur candeur, leur espérance qui les fait avancer.
Certes le film est à haute connotation sociale mais les frères Dardenne n’en oublient pas pour autant le cinéma. Ils savent susciter l’émotion grâce à des scènes que personnellement, je n’oublierai pas. Je pense à une scène de karaoké dans un restaurant, ou une beau moment de fraternité entre le garçon et la fille, après que celle-ci a du montrer sa poitrine au restaurateur pour qu’il la filme. Les réalisateurs montrent bien le lien indicible et inébranlable qui les unit. Ils savent également faire monter l’angoisse notamment dans les scènes du hangar à cannabis. Et il y a un vrai suspens à la fin du film, mais je n’en dirai pas plus.
Les interprètes sont vraiment épatant. Non-professionnels, ils bouleversent par leur interprétation. Ils sont expressifs tant dans leurs gestes que dans leurs paroles. Pablo Schils est d’une expressivité assez remarquable pour un comédien de son âge. Quant à Joely Mbundu, elle est excellente dans sa partition qui est loin d’être évidente. Il faut louer la direction d’acteur des Dardenne. Les acteurs sont vraiment tous très bons et dans un registre très sobre.
‘Tori et Lokita’ me semble donc être un film à voir malgré ses lourdeurs scénaristiques. Il a le mérite de montrer le parcours du combattant que peuvent être les démarches administratives et la vie en générale de ces immigrés dans nos pays européens. Le cinéma français et francophone le montre rarement, et c’est à mettre au crédit du film.