Après « Singin’in the Rain », Arthur Freed se lance dans la production d’une nouvelle comédie musicale, toujours avec Betty Comden et Adolph Green au scénario, mais cette fois avec Vincente Minnelli à la baguette, en en s’appuyant sur les compositeurs vedette de Broadway : Howard Dietz et Arthur Schwartz qui on écrit toutes les chansons du film (la plupart sont reprises du musichal « The Band Wagon ! », un des succès de Broadway, qui donne le titre du film, même si l’histoire est totalement différente entre la scène et l’écran. Avec l’ambition de faire encore mieux, Arthur Freed et Vincente Minnelli rendent hommage auxéquipes qui réalisent les scènes. Car le sujet principal est le spectacle et les artistes. Chacun de ces personnages est inspiré de la vie réelle. Le producteur Jeffrey Cordova (Jack Buchanan) est un double de José Ferrer, les Marton (Oscar Levant et Nanette Fabray) sont bien sur Betty Comden et Adolphe Green (même si ces derniers n’étaient pas mariés), Gabrielle Gerard (Cyd Charisse) joue une danseuse de ballet (ce qu’elle était auparavant, notament au sein du Ballet Russe de Monte-Carlo) et Fred Astaire était, comme Tony Hunter, un has been de la comédie musicale, l’arrivée de Gene Kelly lui ayant donné un coup de vieux. De plus il était assez hostile à l’idée de danser avec Cyd Charisse qu’il jugeait trop grande (1,71 m) pour lui. Se servant de cette appréhension, la première rencontre du film est amusante, entrecoupée de l’hilarante démonstration que Jef Cordoba « joue » aux investisseurs. Après la cruelle séquence d’ouverture puis la non moins cruelle arrivée à New York, les laborieuses et vexantes séances de répétition, cette longue introduction du couple vedette se termine par la plus gracieuse et élégante scène de toute l’histoire du cinéma musical : « Dancing in the Dark ». Dans un central Park de studio, Gaby et Tony, vêtus d’un blanc virginal, découvrent par eux même qu’ils peuvent danser ensemble. Ce moment stylistiquement et émotionnellement impressionnant, situé au milieu du film, peut faire craindre la suite quant au niveau d’une telle hauteur.
En fait, le film commence vraiment. En premier le désarroi de l’artiste qui a construit un décor monumental et surchargé qui se retourne contre lui, avec au passage un éreintement en règle de l’art intellectuel, fossoyeur par définition du spectacle. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Après ce four retentissant, la troupe, sous la direction de Tony, en revenant au scémario original des Marton, va enchaîner une tournée spectacle sur la côte Est, où les numéros s’enchaînent les uns plus brillant que les autres, finissant en apothéose par une mini pièce “The Girl Hunt Ballet” avec Cyd Charisse en femme fatale ultra sexy (l’ensemble bleu transparent et la robe rouge me transforme en loup des cartoons de Tex Avery). Enfin, la déclaration d’amour de Cyd est une des grandes scènes émotionnelles du septième Art. Cette mise en abime ironique, souvent drôle, toujours brillante, offrant une succession de tableaux époustouflants (à tel point que l’excellent numéro de Nanette Fabray à la campagne paraît fade), dégage la morale la plus importante du film : “The world is a stage, the stage is a world”, “That’s Entertainment”. Ce sera le titre d’une série hommage de trois films sur le music hall. Fidèle à ses thèmes, le rêve et le réel, le désarroi de l’artiste, la difficulté face au rêve et de la création pour l’atteindre, Le réalisateur qui n’en a jamais changé, semble avoir atteint une plénitude artistique où chaque détail compte, jusque dans le choix des couleurs, des costumes, des décors. Minnelli est sans aucun doute, avec Stanley Kubrick (dans un style très diffèrent) l’artiste le plus complet que le cinéma a produit à ce jour. “The Band Wagon” est à la fois son joyaux et le sommet de la comédie musicale, surpassant encore “Singin’ in the Rain”.
Ce fut un four abyssal aux USA, à la fois en terme de recette et d’accueil critique avec en tête les intellectuels new-yorkais qui pardonnaient peu l’ironie acide vis à vis du courant qu’ils encensaient. De l’autre côté, Hollywood n’avait toujours pas digéré “The Bad ans the Beautiful” (“Les ensorcelés”), si bien que “Tous en scène !” fut juste nominé trois fois (scénario, musique, costumes) pour la cérémonie des Oscars 1954. Lamentable vis à vis d’un des plus grands films de l’histoire. Heureusement, c’est la comédie musicale préférée de la profession comme des critiques français et britanniques.