Il y a un cinéma français qui me crispe.
Je ne m’en cache pas.
C’est évident.
Et sur bien des aspects ce « Tous les matins du monde » coche quand même pas mal de cases de ce qui m’insupporte au plus haut point.
Ce goût bourgeois de l’aristocratie.
Cet attrait pour les cultures d’antan propre à l’élite.
Ce plaisir à se prélasser dans le mal-être et l’inertie des conventions sociales.
Tout cela je l’ai déjà tellement vu de fois dans le cinéma subventionné que je n’en peux plus.
Et en cela « Tous les matins du monde » participe à mon exaspération.
Il y participe d’autant plus qu’il adopte la plupart des marottes formelles de ce cinéma très rigide et codifié.
Aussi dans ce film on parle beaucoup. Beaucoup trop.
Le cinéma laisse souvent sa place au théâtre.
Un théâtre qui va jusqu’à imposer son classicisme dans sa structure narrative.
Autant dire qu’il sera vain d’espérer quelconque surprise en se lançant dans une œuvre comme celle-là…
Malgré tout, je me dois bien de reconnaître qu’au-delà de ces pesanteurs bien parisiennes s’y ajoute aussi le meilleur du savoir-faire hexagonal.
Moi déjà, tu me mets Jean-Pierre Marielle et Gérard Depardieu dans un même film, je me sens obligé de le regarder.
Et pas manqué ! Ces deux gars suffisent à apporter toute la chair nécessaire pour faire vivre un film.
Et si pour moi la meilleure scène du film est justement celle de ce face-à-face final entre les deux maîtres – très riche et subtil en termes de jeu d’acteurs – je lui préfèrerais néanmoins la scène d’introduction pour ce qu’elle montre du talent de Depardieu.
Un simple plan fixe sur un visage.
Un visage qui réagit à la musique et aux leçons qui sont données en contrechamps.
Un visage qu’on ne quitte pas, quand bien même le personnage vient-il de se saisir de son instrument pour donner tout ce qu’il entend transmettre.
Tout passe par ces expressions faciales.
Et c’est justement toute l’intelligence d’Alain Corneau que d’avoir su construire toute son introduction en mettant en évidence ce visage là.
Parce que oui, c’est aussi l’autre raison à mon déplacement vers ce « Tous les matins du monde » : la présence d’Alain Corneau à la réalisation.
Pour le coup, Corneau incarne aussi pour moi cette tradition d’auteur français que j’aime bien.
Corneau sait s’effacer au profit de ses interprètes, mais sans jamais pour autant les abandonner.
D’ailleurs ça se ressent d’autant plus que cette délicatesse qu’il a pour ses acteurs, Corneau les a aussi pour ses lieux.
Et même si aucun plan ne va subjuguer de par son audace et sa maestria, tous néanmoins sauront convaincre de par leur pertinence.
L’ensemble est toujours élégant et équilibré.
Rien ne jure (…à part peut-être les tirades un brin récitées de Guillaume Depardieu).
Tout est à sa place.
Et c’est d’ailleurs particulièrement agréable de voir un film qui est techniquement bien exécuté, avec notamment une très belle photographie.
C’est malheureusement quelque-chose qui se fait trop rare aujourd’hui pour que je ne le note pas ici.
Alors du coup oui, parmi le pire, ce « Tous les matins du monde » fait sûrement partie du meilleur.
Mais c’est justement rageant de se dire que ce meilleur ait été au final au service du pire…