Pour ce film, Pedro Almodovar n’a obtenu « que » le prix de la mise en scène au festival de Cannes 1999. Un prix amplement justifié. La palme d’or est revenue à « Rosetta » des frères Dardenne.
Manuela (Cecilia Roth) vit seule avec son fils Esteban. Elle est infirmière dans un service qui gère des transplantations d’organes. On sent une grande complicité entre Manuela et Esteban quand on les voit regarder ensemble à la TV « All about Eve » de Joseph L. Mankiewicz. Le choix de ce film qui montre l’ascension d’une jeune actrice ambitieuse (Ann Baxter confrontée à Bette Davis) ne doit rien au hasard. Pour son anniversaire (17 ans) Manuela demande à Esteban ce qui lui ferait plaisir. Il demande à assister à une répétition des scènes qu’ils répètent à l’hôpital pour se préparer aux situations difficiles avec les parents des décédés qui pourraient devenir donneurs d’organes. Mais Manuela n’est pas qu’une actrice d’occasion. Autrefois, dans un théâtre amateur, elle a joué le rôle de Stella dans « Un tramway nommé désir » la pièce de Tennessee Williams. Le cinéphile réagit immédiatement en pensant au film d’Elia Kazan avec Marlon Brando et Vivien Leigh.
Quant à Manuela et Esteban, ils vont voir la pièce et ils sont fascinés par Huma (Marisa Paredès) qui joue le rôle de Stella. Dans la rue sous une pluie battante, ils attendent sa sortie du théâtre. Mais Huma s’engouffre dans sa voiture et demande au chauffeur de démarrer alors qu’Esteban plaque un carnet contre sa vitre. Esteban tente de courir après la voiture, mais … il est fauché par une autre.
Le drame. Le beau et jeune Esteban se retrouve à l’hôpital, dans le service de sa mère qui doit décider d’accepter le don du cœur d’Esteban qui était toute sa vie. Elle accepte mais va jusqu’à suivre le cœur jusqu’à La Corogne pour pleurer sur ce qui reste vivant d’Esteban.
Puis, elle décide d’abandonner son travail et de se rendre à Barcelone. En taxi elle redécouvre la ville et demande à aller dans le quartier chaud. Elle descend pour défendre une prostituée tabassée par un homme. Rapidement, elle réalise qu’elle a volé au secours d’Agrado (Antonia San Juan) une vieille connaissance dans les bras de qui elle tombe. Agrado est un travesti au grand cœur qui va l’héberger et lui chercher du travail.
Agrado connaît Rosa (Pénélope Cruz encore un peu timide, avec son visage de jeune madone) qui travaille dans un service humanitaire. Rosa propose de faire engager Manuela par ses parents comme personne à tout faire. Le père vit dans le brouillard (c’est le chien qui retrouve la maison quand ils sortent) mais la mère redoute qu’on apprenne qu’elle vit en peignant des faux Chagall…
Reste à savoir ce que Manuela vient faire à Barcelone où elle n’a plus mis les pieds ni donné de nouvelles depuis 18 ans…

Ce film est d’une richesse impressionnante. La maîtrise formelle et technique saute aux yeux dès le générique dans une chambre d’hôpital où la caméra explore en douceur le matériel et où les noms et titres apparaissent en couleurs vives avec une police déformée. L’intrigue est tortueuse à souhait mais le spectateur ne s’y perd jamais. Almodovar scénariste est au sommet de sa forme et il nous livre une histoire bien dans sa manière en rendant hommage discrètement à des réalisateurs (Sirk, Mankiewicz, Wilder, etc) et à toutes celles qui ont compté pour lui, aussi bien personnellement (sa mère) que pour entretenir sa passion du cinéma (les actrices en général et plus particulièrement Bette Davis, Geena Rowlands et Romy Schneider).
Almodovar émeut, touche, fait dans le mélo façon Douglas Sirk en utilisant comme lui des couleurs flamboyantes (comme dans « Le secret magnifique » par exemple qui se passe également dans le milieu médical). Il utilise un procédé narratif qui rappelle irrésistiblement « Boulevard du crépuscule » de Billy Wilder : une bonne partie du film (qui justifie le titre) est racontée par Esteban après sa mort. Et l’hommage à Mankiewicz va loin puisque Manuela est finalement engagée par Huma qui se retrouve rapidement confrontée à la défaillance de sa partenaire…
Mais nous sommes bien dans un film de Pedro Almodovar. La partenaire de Huma n’est pas simplement malade ; elle est camée. Almodovar retrouve avec bonheur le monde des travestis, prostituées, transsexuels, etc. La confrontation avec la petite bourgeoisie est savoureuse. Cela donne lieu à quelques scènes à la provocation caractéristique. Ainsi, la mère de Rosa demande à Manuela après l’avoir observée avec son propre petit-fils (le fils de Rosa) qu’elle confiait un instant à quelqu’un d’autre dans un café « C’est qui cette femme ? » ce à quoi Manuela répond tranquillement « C’est son père. »
On découvre progressivement la complexité des relations entre les uns et les autres. L’hommage au cinéma et aux actrices, ainsi qu’aux femmes en général (parce qu’on ne voit qu’elles, excepté Esteban et deux infirmiers) est si personnel et sincère que le spectateur non cinéphile rentre aussi bien dans le film que celui qui y voit les hommages, à la condition bien sûr d’accepter l’humanisme qui se dégage de chacun des personnages.
Electron
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le 21 août 2012

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Electron

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