Trap
5.5
Trap

Film de M. Night Shyamalan (2024)

Un tueur en série est pris au piège par la police dans une salle de concert où se retrouvent 20 000 personnes, il n’y aurait pas d’issue possible. Ce pitch était prometteur, quand on connaît le talent développé par M. Night Shyamalan sur des concepts simples en leur offrant une ampleur philosophique et sociale. La paternité est un sujet longuement à travers sa filmographie, passant du fils sans père (Sixième Sens) aux devoirs de celui endeuillé par le décès de sa femme (Signes). Le criminel de Trap fait face à une problématique toute semblable : comment s’en sortir sans dévoiler sa double vie, sans perdre sa famille, sans laisser sa fille traumatisée par la découverte ? Si le cinéaste a toujours eu cette faculté à mélanger des registres sur une exécution plutôt inattendue, flirtant souvent avec la comédie, l’écriture de cette production déçoit nettement.

Des manœuvres dans le vide. C’est ainsi que l’on peut qualifier les efforts concrets des forces de l’ordre dont l’objectif est d’attraper ce serial killer. Par la force des allers-retours permanents, sa manière de convaincre n’importe qui – vendeur de merchandising, policiers – Cooper Adams dit le Boucher se déplace comme il le veut et quand il le veut. Il n’y a pas de suspension d’incrédulité, toutes les perches lui sont tendues. Si Shyamalan souhaitait exposer la déconnexion de la réalité de tous, y compris de l’institution policière, c’est chose faite. Mais quel intérêt cinématographique ? Pourquoi refuser à ce point tout suspense, tout effet de mouvement dans la mise en scène. Certes, on le retrouve habité quand il s’agit de matérialiser la difficulté générationnelle à se déconnecter des écrans et du regard des autres. Tout de même, rien de cela n’est retranscrit par des jeux de caméra, une multiplicité de points de vue.

Le potentiel hitchcockien d’un tel synopsis était immense, il faudra se contenter de contre-plongées anecdotiques et rien d’autre. Formellement, les images manquent de relief, mettent très peu en valeur un élément du décor à l’exception de la scène de concert où Lady Raven chante ses tubes. Alors que l’identité du Boucher est sur le point d’être dévoilée, l’utilisation de l’hors-champ en parcours, où les seuls cris et coups portés à la porte résonnent, est un sursaut d’énergie assez inattendu. Sur la durée, c’est à se demander s’il s’agit du même homme à la direction de Knock at the Cabin, qui prenait le temps de caractériser chaque individualité présente sur les lieux. En l’état, l’ensemble inspire une platitude esthétique sauvée de justesse par les jeux de lumière efficaces.

Josh Hartnett convainc aisément dans son rôle de psychopathe. Ses regards caméra sont troublants, bien qu’il frôle le surjeu en s’employant sur des intonations très fortes. Saleka Shyamalan apporte un contraste intéressant, incarnant une jeune femme sensible et sûre de son fait par son vécu. Elle est l’enfant qui s’est élevée seule, prenant la mesure de ses souvenirs douloureux, l’interprète inspire l’émotion et la détermination. Il ne faudra pas en dire autant des dialogues, très convenus et attendus pour ce type d’intrigue. Précisément, la déception est de mise au sortir du lieu d’action après la première heure. Des touches d’humour noir étaient glissées auparavant, entre deux ou trois invraisemblances où il y avait plus de circulation dans les couloirs de l’aréna que la salle de concert. Désormais, la traque se poursuit à l’extérieur, il est plus ardu d’être très impliqué par les évènements pris au sérieux au fil de rebondissements intempestifs.

Le récit fait fi de toute incohérence, à multiplier les téléportations du tueur pour que l’intrigue se poursuive. Certes, ce n’est pas une surprise au regard du peu d’importance accordée à inscrire des points de repère dans l’espace dès la première partie du long-métrage. D’emblée, il n’y avait pas de logique aux sorties, déplacements, positions du protagoniste. À ce stade, le thriller ne peut plus avoir de thrill, les frissons remplacés par l’ennui poli. La trame scénaristique se conclura sur un cliffhanger poussif, même pas amusant puisqu’il ne signifie rien. Il n’a aucune résonance au dilemme psychologique du père qui s’assumant, ne pourra plus revoir sa fille. Hélas, un piège sans piège.

William-Carlier
5
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le 4 août 2024

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William Carlier

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