Trap
5.5
Trap

Film de M. Night Shyamalan (2024)

Depuis « Old » (2021), semble s’être éveillé chez M. Night Shyamalan un attrait déjeté pour le huis-clos, genre qu’il avait jusqu’alors abordé sans pour autant s’y frotter. « Old » donc, se déroulant quasi entièrement sur une plage où le temps s’accélère, mais aussi « Knock at the Cabin » (2023), où un récit pré-apocalyptique prenait place dans une petite maison nichée dans les bois, et la série « The Servant » (2019) où une intrigue horrifico-familiale envahit une maison pavillonnaire de Philadelphie. Cette tendance — étrangement concomitante avec la pandémie de Covid-19 — à réduire l’action à un unique espace s’accompagne également d’un virage emberlificoteur vers la comédie noire, le cinéaste n’hésitant plus à présenter des récits ouvertement truffés d’invraisemblances et d’ironie ; comme si Shyamalan inspirait à rapetisser son propre style, pour mieux avancer sur les sentiers de la série B : moins de lieux, moins de grandiloquences, plus de modestie, d’humour, de pop.


À ce titre, il est difficile de regarder « Trap » sans imaginer ce qu’il aurait pu être si Shyamalan l’avait réalisé au début des années 2000. Car cette seizième réalisation du cinéaste n’est pas sans évoquer l’un de ses films majeurs : « Incassable ». Non seulement parce qu’à l’instar de ce dernier « Trap » se déroule en grande partie dans un stade, mais aussi parce qu’il prend à rebours la relation père-fils tissée dans « Incassable », ou David Dunn (Bruce Willis), découvrait l’existence de ses pouvoirs super-héroïques. Dans « Trap », Cooper Adams (Josh Hartnett), accompagnant sa fille à un concert de « Lady Raven », comprend qu’il va devoir retarder le plus possible le moment où elle découvrira qu’il est un tueur en série sadique et (très) recherché.


Au nez, on verrait volontiers « Trap » comme une exubérance frisant dangereusement le ridicule. Tout juste cent-cinq minutes et autant de couleuvres avalées plus tard, le film laisse en effet un gout très en deçà de son potentiel, inaugurant un concept de thriller prometteur qu’il va rapidement cadenasser dans une pétulante drôlerie macabre, sans qu’une goutte de sang ne soit versée à l’image. À l’instar de Shyamalan, Josh Hartnett s’amuse, exposant pleinement l’inventivité mortelle de son personnage, notamment en passant par son smartphone dont il se sert pour tuer ses victimes à distance, et c’est sans doute ici l’un des points cardinaux de « Trap » : profitant du fait que son film se déroule dans un concert, Shyamalan fait entrer les smartphones et les écrans dans son récit, à un degré qu’il n’avait jamais atteint auparavant. En arrivant dans la salle où va se dérouler le concert, par exemple : Cooper filme sa fille Riley exécuter une chorégraphie, avant de dévier son smartphone vers une télévision diffusant la chorégraphie originale de la chanteuse, déployant alors une triangulation entre une intimité familiale, un meurtrier caché et un spectacle grandiose.


Cette opération consistant à lier via la mise en scène l’intime, le caché et le spectacle, le cinéaste va la renouveler sans cesse, et à chaque fois à une échelle différente jusqu’au kidnapping de « Lady Raven » (campée par Saleka Shyamalan, sa propre fille) par Cooper, lequel finit par amener la star internationale jusqu’à son salon. Invraisemblable certes, mais certainement pas inepte. Pour kidnapper la chanteuse, Cooper lui montre sur son téléphone la vidéo en direct d’un homme pris en otage, et qu’il pourrait tuer à distance via un simple coup d’écran tactile, comme s’il « appelait un Uber ». En réponse, « Lady Raven » utilise elle-même un téléphone afin d’alerter ses fans en direct via un live sur les réseaux sociaux. Aimant depuis ses débuts recourir aux plans frontaux, Shyamalan s’en donne à cœur-joie, convoquant « Snake Eyes » (1998) avec un soupçon de « Piège de Cristal » (1988), cumulant les axes étranges et les raccords à 180. Son but ? Piéger notre regard, comme il a toujours fait ; mais aussi mettre en exergue cette permanente duplicité : les pensées contradictoires du tueur, meilleur papa du monde et en même temps « Boucher » semant les cadavres. Cette duplicité, on la retrouve également dans les trames : l’une se déroulant dans le vrai monde, et l’autre hors-champs et essentiellement numérique, à savoir ce qu’il se passe dans les écrans sur scène retransmettant le concert, les smartphones, les vidéos-surveillance… Au travers des écrans, « Trap » trouve non seulement un appuie permettant de justifier nombre de ses invraisemblances, mais dévoile également la méticulosité enterrée dans l’esprit de Cooper ; une méticulosité renvoyant à notre époque où l’on peut comparer un meurtre à l’appel d’un Uber…


L’intérêt de « Trap » tient dans ce troublant dédoublement superposant les rapports familiaux, un psychopathe et le monde du spectacle, mais aussi aux macabres regards de Cooper : celui d’un père aimant, d’un criminel cherchant à passer entre les mailles d’un important barrage policier, et d’un tueur identifiant de potentielles futures victimes. Utilisant avec acuité nombre de ses motifs récurrents (longs couloirs, poignées de porte, mains ligotées, surcadrage, faux split-screens…), Shyamalan démontre dans cet imbroglio une remarquable capacité à trianguler sa mise en scène tout en utilisant avec acuité les technologies pour pousser sa virtuosité plus loin, conservant ce rythme ludique pimentant les plus belles heures de son cinéma, auquel il offre avec « Trap » un généreux pastiche, un gag quasi pulsionnel et étrangement efficace. Wake eyes !

JoggingCapybara
6
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le 16 août 2024

Critique lue 122 fois

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JoggingCapybara

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