J'aurais peut-être été plus enthousiaste si je ne connaissais pas la littérature sud-américaine (à partir de Borges, et jusqu'à Bolano, en passant par Cortazar) que le récit imite, et dont le cinéma, jusqu'alors, à part avec Raoul Ruiz, s'était peu emparé. Mais il y a quand même quelques moments où cette longue dérive atteint des zones de pur plaisir fictionnel, dont on sait qu'il est entièrement fabriqué, et qui pourtant nous happe. Parce qu'on aime les histoires - mais pas en tant que telles : on les aimes pour ce qu'elles font aux vies de celles et ceux qui les racontent et celles et ceux qui les reçoivent. J'ai beaucoup aimé, notamment, que la relation entre Ezequiel et Laura naisse autour d'un dialogue ininterrompu à propos de la relation entre deux autres personnages dont ils ont retrouvé les lettres. En revanche, je ne comprends pas pourquoi la cinéaste se met en tête de représenter, à l'image, ces deux personnages qui auraient très bien pu rester hors-champ, avec des chapeaux de paille et des mines contrites de fiction romantique. Ca n'a aucun intérêt, le cinéma semble aplatir l'histoire au lieu de l'imaginer.
D'ailleurs, l'imaginaire à l'oeuvre dans le film me semble pauvre, en dépit de l'histoire à multiples tiroirs qui nous est contée. Outre la banalité étriquée des plans, à laquelle on se fait malgré tout, comme si c'était la condition d'une liberté relative, il y a ce gynécée insipide, où l'on cultive son jardin et où l'on prépare la chambre de l'enfant (si monstrueux soit-il), sans jamais se raconter la moindre histoire. L'idée était pourtant très belle, d'un message audio laissé par Laura dans le studio d'enregistrement de la radio locale, que Ezequiel et l'animatrice écoutent ensemble en buvant du whisky. D'ailleurs les scènes les plus fortes (les plus "réellement fictives", je ne sais pas comment dire autrement) sont celles de l'écoute de l'histoire de Laura. Dommage que la cinéaste ne s'en soit pas tenue au studio. Elle a préféré tourner les plans sur les femmes qui font un feu (au secours le cliché ! on va la voir combien de milliers de fois encore cette scène ???), ou sur Laura s'approchant de la porte interdite accompagnée par une musique de téléfilm. Alors qu'au fond, la seule chose réellement intéressante aurait été d'observer ce qui se noue entre Ezequiel et l'animatrice autour de ce message, les inquiétudes, le partage d'un secret, la croyance, etc...
Trenque Lauquen est moins pénible et tape-à-l'oeil que La Flor, conçu par le même collectif quelques années plus tôt, aussi l'ai-je vu jusqu'au bout. J'étais plutôt séduit par la façon dont les histoires d'amour de Laura ne sont jamais présentées sous l'angle de l'adultère, mais plutôt sous celui d'un kaléidoscope, qui s'ouvre à chaque fois à de nouveaux éclats, de nouveaux fragments. Quelques détails m'ont bien plu, comme le fait que les personnes que Laura aime ont toutes pour particularité d'écouter une seule et même chanson dans leur voiture. J'ai pu me dire que c'était la vision de Laura elle-même, nécessairement parcellaire, qui réduit chaque être à une chanson, et cherche, avec ses aventures sentimentales, l'album complet. Mais la fin est très décevante : soudain les plans sont larges, la nature apparaît, et Laura marche seule à travers le monde. N'y avait-il donc aucune autre émancipation envisageable que celle des récits individualistes hollywoodiens comme Into the wild ? J'attendais que la fiction agisse et emporte le ou les personnage.s. Mais non, c'est l'idée qui a gagné, c'est Thoreau qui écrit la vie dans les bois mais dont la mère lave encore le linge. Adieu Borges, Rivette, etc... Retour à l'ordre lyrique. Mais je pense que Trenque Lauquen, sous une apparence simple qu'on pourrait prendre pour de la liberté, manque d'esprit critique. En tout cas, il échoue à déjouer les poncifs des fictions dominantes. Il faut, une fois de plus, qu'une femme disparaisse pour exister.