Troy

"Troie" est un film sorti en 2004 que j'ai loupé à sa sortie puis à plusieurs reprises. C'était comme si un destin pernicieux et malfaisant m'empêchait de le voir …

Maintenant que je l'ai vu, je vais pouvoir le commenter en regrettant toutefois de n'avoir pas relu, dans le détail, les livres d'Homère qui servent de base au scénario du film.

Il est certain qu'adapter au cinéma l'Iliade ou plutôt la guerre de Troie est une opération qui peut paraître vite monstrueuse.

D'abord parce qu'il y a deux dimensions essentielles dans le poème épique. Il y a les actions des hommes qui luttent entre eux mais il y a surtout les actions des dieux qui manipulent complètement les hommes en leur offrant un soutien ou au contraire en le leur retirant. C'est d'abord l'intérêt des dieux puis des manœuvres de basse politique entre eux qui guident leurs actions. La mise en scène de Petersen a éludé habilement le problème. On ne voit pas les dieux en action qui, par exemple, sur un coup de colère ou pour protéger leur favori, interviennent directement dans un combat. On n'y voit plus que des hommes assujettis aux dieux (omniprésents) qu'on ne voit pas. Faute de quoi, je ne sais pas comment cela aurait pu être réalisé sans paraître très artificiel. L'exemple le plus évident est celui d'Achille qui n'en fait qu'à sa tête et se permet d'être arrogant vis-à-vis des dieux qui ont, de son point de vue, bien d'autres choses à faire que de s'occuper des hommes.

Evidemment, ce faisant, on ramène la guerre de Troie à une guerre entre hommes (ou entre nations) ; quelque part on diminue la portée du texte qui a justement traversé les millénaires, à mon avis, à cause de cette dimension très déterministe de la relation entre hommes et dieux.

L'autre aspect des textes du cycle troyen, qui rend difficile toute adaptation raisonnable au cinéma, est l'incroyable complexité de la légende. Il y a d'abord un nombre très important de personnages mais surtout une imbrication de ces personnages sans fin. En effet, les poètes tragiques grecs ont écrit des tragédies développant certains aspects des héros de la guerre de Troie en leur donnant une épaisseur, un passé et un avenir bien au-delà de la guerre proprement dite. Toute cette complexité s'est traduite chez Petersen par beaucoup de raccourcis, de simplifications et d'assimilations.

Il est clair que les choix de Petersen nécessaires pour en faire un film intelligible et d'une durée raisonnable peuvent irriter le spécialiste qui ne s'y retrouve pas ou qui s'offusque des contre-sens comme la mort d'Agamemnon à Troie de la main de Briséis. Mais si on sait lire entre les lignes, on peut aussi retrouver, par exemple, très bien traduite, la haine qu'éprouve Apollon face à Achille…

On pourrait aussi dire que l'objectif de Petersen n'était pas de traduire fidèlement l'Iliade et même certaines parties de l'Odyssée (récit d'Ulysse de la prise et du sac de Troie qui ne font pas partie de l'Iliade). En somme, l'objectif de Petersen est de nous livrer certains aspects de la guerre de Troie en y rajoutant juste quelques éléments du contexte comme l'enlèvement d'Hélène par Pâris ou bien encore les efforts de la coalition achéenne pour convaincre Achille de venir appuyer l'armée grecque.

Maintenant si je me replace en position de spectateur, je me trouve devant un dilemme

- Je rejette le film parce que décidément je n'admets pas qu'on trahisse certains personnages ou qu'on ne prenne pas en compte l'importance des dieux. Ou encore je trouve insupportable qu'on ait escamoté le personnage de Cassandre chez les troyens. Ou pire qu'on prive Clytemnestre de pouvoir tuer un Agamemnon triomphal à son retour à Mycènes … Et je pourrais d'ailleurs en faire une liste de plusieurs pages …

- Je prends le film tel quel et essaie de comprendre les raisons des choix de Petersen. Dans ces conditions, j'assiste à un beau spectacle avec des belles batailles, des duels spectaculaires et ma foi, fort respectueux du fond de l'histoire. Par exemple, la mort de Patrocle, le respect d'Hector qui le tue et les funérailles de douze jours pour pleurer la mort de l'ami fidèle … Par exemple aussi, en miroir, la mort d'Hector, l'irrespect d'Achille, la prière de Priam et les funérailles de douze jours pour pleurer la mort d'un fils et d'un frère. Et je pourrais faire aussi une liste de plusieurs bonnes idées de mise en scène de Petersen dans ce film.

Reste à parler des acteurs qui ne déméritent pas du tout non plus.

Brad Pitt dans le rôle d'Achille m'a paru conforme à ce qu'en dit l'Iliade : le héros beau et invincible, le chevalier orgueilleux et ingérable.

Peter O'Toole est excellent dans le rôle du vieux roi Priam. Là encore, il me parait bien conforme au rôle du roi plein de sagesse et de bonté.

Diane Kruger joue le rôle d'Hélène. Il fallait évidemment une femme d'une grande beauté, ce qui est le cas. Mais le personnage incarné est aussi plein d'interrogations sur sa fuite à Troie avec Pâris dont elle voit bien, tardivement, les défauts et les faiblesses. Cela me plait bien, d'autant plus que dans la vraie histoire, elle retrouvera ultérieurement Ménélas (qui n'est pas mort …)

Au final, pas facile de mettre une note à ce film.

Personnellement, même si j'observe des contre-sens importants (les morts de Ménélas et d'Agamemnon) qui me dérangent quand même pas mal, je veux bien comprendre les choix et décisions prises par Petersen. Il réussit finalement à bâtir un film qui donne une certaine vision intéressante de la guerre de Troie, de certains personnages comme Achille, Hector, Priam, Hélène et même Agamemnon.

Le résultat final n'est pas désagréable du tout et personnellement je n'ai pas vu passer les 160 minutes.