Puisque j'ai désormais vu tous les films d'Emmanuel Mouret (en attendant le prochain), il est temps de faire un bilan de son cinéma - la critique de ce film vaudra pour tous.
Mouret c'est avant tout le goût des situations improbables, parfois jusqu'au vertige. Mais si dans ses premières œuvres ce vertige prêtait avant tout à rire, il est mis aujourd'hui au service du drame - et je ne suis pas certain que ce soit pour le mieux. Emmanuel Mouret a je trouve un talent comique exceptionnel, à la fois en tant que cinéaste et en tant qu'acteur. Or sa silhouette débonnaire a disparu de ses films en même temps qu'ils sont devenus plus graves. On rit certes toujours par moments devant ses dernières œuvres, mais moins souvent, et moins franchement. Désormais le rire est teinté d'amertume - comme dans cette scène terrible où Vincent Macaigne tente de retenir India Hair en lui donnant des ultimatums en pure perte. Je ne peux m'empêcher de regretter la drôlerie loufoque qui faisait tout le sel de Promène-toi donc tout nu ! ou Laissons Lucie faire ! (découverts récemment), des films qui n'étaient pas pour autant dénués de toute noirceur - mais celle-ci était plus pudique, plus impalpable qu'aujourd'hui.
Surtout qu'au fond, rien n'a vraiment changé. Le thème est toujours le même : le marivaudage, appelons-le ainsi. Les personnages évoluent toujours dans une bulle, sans autre tourment que les peines de cœur. Il est frappant de constater à quel point Mouret a toujours fait fi de tout contexte. D'argent, de déterminisme, il n'a jamais été question ; seul l'amour importe, comme s'il n'était que le pur fruit du hasard, comme s'il tombait du ciel (je ferais le même reproche au récent Miséricorde d'Alain Guiraudie). Même le sexe n'a pas vraiment d'intérêt pour le cinéaste, pour qui les sentiments naissent du cerveau sans s'incarner dans la chair. En somme, rien n'est grave, à part de ne pas être aimé. La mort même n'a pas de réalité - en témoigne le traitement réservé au personnage de Vincent Macaigne, qui a semble-t-il tout gagné à s'en aller ad patres.
Je ne m'attendais pas à ce que Trois amies soit différent des autres. Tout au plus peut-on espérer du nouveau film d'Emmanuel Mouret des "variations sur le même t'aime" - pour reprendre un titre de Gainsbourg. Le dernier né est plutôt un mauvais cru, trop long, trop paresseux. Si j'ai pris - comme toujours - plaisir à cet entrelacs d'amourettes et au regard tendre sur elles porté, je regretterai qu'ici elles soient trop nombreuses et trop peu fouillées, au point que mon intérêt ne se soit émoussé dans la dernière demi-heure. En fait, à partir de la naissance de la relation Hair-Bonnard, je n'y étais plus vraiment.
Mouret n'a pas progressé depuis ses débuts ; il n'a fait que creuser le même sillon, avec moins de fantaisie l'âge avançant. Mademoiselle de Joncquières et Chronique d'une liaison passagère avaient toutefois le mérite de proposer quelque chose de neuf, ce qui n'est pas le cas de celui-ci. Gageons que le prochain sera meilleur !