Je conçois très bien que les défauts évidents de "Trois hommes à abattre" puissent rebuter, mais pour ma part je retiens plutôt sa capacité à offrir un divertissement à suspense de belle facture, qui vient titiller la fibre nostalgique de ces early eighties.
Il s'agit d'une adaptation d'un polar de Jean-Patrick Manchette, qui voit un quidam mêlé par hasard à un complot politico-militaire d'envergure nationale. Enfin, quand je dis quidam, on parle tout de même d'Alain Delon, acteur-producteur-scénariste d'un film tout à sa gloire.
C'est là la première faiblesse de "Trois hommes à abattre", qui aurait gagné à développer sa formidable galerie de seconds rôles plutôt que de filmer le bel Alain sous toutes les coutures.
C'est le début de la période des polars alimentaires pour Delon, autant dire le début de la fin...
L'autre grosse carence est d'ailleurs inhérente à la première : un manque de vraisemblance criant, qui voit un "modeste" (humour) joueur de poker affronter une armée de barbouzes, dans un immense bain de sang qui n'inquiète ni la presse, ni les diverses autorités (toutes corrompues, sans doute).
Car l'intrigue de "Trois hommes à abattre" prend naissance dans une atmosphère de fin de règne politique (la droite est encore au pouvoir jusqu'à l'année suivante), où corruption et clientélisme prolifèrent dans la France giscardienne.
Pas une raison pour tomber dans cette caricature outrée...
J'ai pas mal insisté sur les défauts du film de Jacques Deray, car ils sautent aux yeux, mais n'empêchent nullement le plaisir de visionnage : on a affaire à un divertissement efficace, à la réalisation impersonnelle mais efficiente (très belle course-poursuite en voiture), au scénario simple mais prenant, qui assume son parti-pris de noirceur jusqu'au bout, avec un final tout à fait glaçant.
J'ai évoqué plus haut la distribution impressionnante : si la plupart des seconds rôles ne font hélas que passer, quel plaisir de retrouver sur la même bobine des comédiens tels que André Falcon, François Perrot, Jean-Pierre Darras, Bernard Le Coq, Feodor Atkine, Christian Barbier, sans oublier la playmate Dalila di Lazzaro ou encore Simone Renant, l'inoubliable photographe lesbienne de "Quai des orfèvres".
Enfin, last but not least, le duo Pierre Dux et Michel Auclair, aux échanges lunaires souvent hilarants, qui forment l'une des plus belle paires de méchants vues dans un polar français.