S'il n'y avait pas la présence de téléphones portables ainsi qu'une référence au covid, on pourrait se mettre dans l'illusoire confort de penser que l'intrigue se déroule plusieurs décennies avant notre époque. Hélas...
L'histoire a pour cadre un village roumain, bien isolé géographiquement par le delta du Danube, auquel on peut accéder (ou fuir !) que par bateau. Un fils se fait physiquement agresser parce qu'il est homosexuel. Les représentants les plus sacrés de la communauté rurale (les parents, l'autorité politique, l'autorité policière, l'autorité religieuse !) vont très mal réagir... à l'égard de la victime. Ben ouais, déjà, il l'a bien cherché en étant homosexuel, quand même. C'est entièrement lui qui est à blâmer. Ensuite, ce serait dommage que ça s'ébruite, si cela peut éviter au papa de payer une dette, permettre au chef de la police du coin d'obtenir une retraite anticipée et d'épargner un scandale au politicard local, car les deux fils de ce dernier sont les agresseurs...
Une grande qualité que l'on peut reconnaître au cinéma roumain, c'est qu'il ne craint pas du tout d'être frontal et sombre quand il s'agit de mettre en exergue et de dénoncer d'une manière réaliste les lourdes tares de son pays. C'est un cinéma dur et sans emphase. Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde d'Emanuel Pârvu (qui fait son entrée dans ma cinéphilie par l'intermédiaire de ce long-métrage !) n'est pas du tout une exception.
Ce n'est pas tant l'agression elle-même qui intéresse le réalisateur (d'ailleurs, on ne la voit pas, ne se traduisant physiquement que par le visage tuméfié et blessé du malheureux !), mais, comme vous l'aurez compris à la lecture des paragraphes précédents, les réactions pas du tout reluisantes qu'elle provoque. Il n'est pas du tout étonnant que le fils ait qu'une seule envie, se barrer de ce lieu encrassé par l'intolérance, ainsi que par les minables compromissions, et ne plus jamais y revenir. Le spectateur (enfin, celui avec un esprit un peu près normalement constitué !) ne peut qu'éprouver le même dégoût.
Le cadre a beau être superbe (ce que l'on voit surtout lors de la conclusion !), le soleil toujours présent, on a l'impression d'être dans une prison à ciel ouvert, dont on souhaite s'échapper le plus vite possible... Seuls deux personnages secondaires décents empêchent d'étouffer complètement. La scène finale, en plan-séquence fixe, apporte enfin une possibilité de respirer plus que bienvenue.