Trois souvenirs de ma jeunesse est présenté comme un prequel de Comment je me suis disputé, filmé il y a déjà 20 ans. L'expérience du nouveau film de Desplechin se nourrit de cet éloignement nostalgique, les étudiants en fin de thèse ne sont plus des jeunes hommes et des jeunes filles. Ils sont arrivés à l'âge des regrets tandis que les jeunes héros de ces 3 souvenirs sont des adolescents à l'âge des possibles.
Le film commence donc au moment où Paul Dedalus, anthropologue au Tadjikistan, décide de rentrer en France après de longues années loin de chez lui. Comme Ulysse, il est temps pour lui de rentrer après un long voyage.
Le premier souvenir, Enfance, est en forme de film d'horreur où l'on se raconterait des histoires de fantômes et de maisons hantées. On cite beaucoup Truffaut ou Jean Eustache au sujet du film. L'incursion du fantastique dans le cinéma de Desplechin (aussi dans la Vie des Morts et la Sentinelle) le rapproche aussi du cinéma d'Alain Resnais. On pense au trois époques qui s'entrelacent dans La Vie est un Roman (l'épisode en forme de conte médiéval dans les fameux décors d'Enki Bilal).
Le second épisode est un récit d'espionnage (genre déjà abordé au temps de la Sentinelle) en forme de Tintin au pays des Soviets ou d'aventure du Club des Cinq. Le récit est à la fois invraisemblable et très crédible. Ces deux épisodes sont deux étapes de la formation du jeune Dedalus, qui n'aura de cesse ensuite d'explorer le monde (sa passion pour l'anthropologie se dessine dans son enfance, à l'ombre de sa grand mère russe) et de partir en quête de ses souvenirs, réactivés par la perte de son identité.
Mais tout le grand talent de Desplechin explose dans la deuxième heure, entièrement consacrée à l'épisode Esther. Esther est la Pénélope de Paul Dedalus. Incarnée par Emmanuelle Devos dans Comment je me suis disputé, elle a ici les traits de la jeune Lou Roy Lecollinet, saisissante dans sa première apparition à l'écran. Esther est l'éducation sentimentale du jeune Paul, adolescent de Roubaix à la fin des années 1980. La reconstitution est à la fois ressemblante et décalée. Elle est construite sur des artefacts contemporains (les chemises à fleurs empruntées à la garde robe de marques anglaises) qui produisent à l'écran une nostalgie pour une époque qui en réalité n'était pas vraiment ainsi. Les personnages du film parlent dans une langue magnifique (le film est un des plus beaux textes du cinéma entendu depuis longtemps) mais dans le même temps improbable (ce qu'on ne manquera pas de reprocher au film : "les jeunes ne parlent pas comme cela").
La beauté du film réside dans cette belle idée, Desplechin donne à ses héros adolescents une vie romanesque, "bigger than life" que l'on aurait adoré vivre.

Olivier_Paturau
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le 25 mai 2015

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