Arnaud Desplechin retrouve le souffle romanesque de ses premiers films et le sublime dans ces trois histoires successives qui sont autant de déclarations d'amour au cinéma. Au sommet de son art, le cinéaste construit avec méthode et simplicité ce qui est peut-être son plus beau film à ce jour.
Trois récits aux tonalités différentes se juxtaposent, trois fragments de vie du héros Paul Dédalus, d'identités et de durée différentes, articulées les uns entre elles par son retour en France, un peu perdu, en colère, toujours en marche. Il lui faut revenir sur une histoire de double, l'existence d'un autre Paul Dédalus, et c'est ce retour en arrière qui sert de déclencheur aux trois souvenirs.
La matière est littéraire, très écrite, romanesque. La forme est foisonnante, riche et constamment renouvelée. Trois souvenirs de ma jeunesse est un roman d'apprentissage, un roman d'aventure, un roman d'amour qui nous transporte, l'œuvre d'un cinéaste qui maîtrise la forme et le fond avec la même exigence.
Il faut de l'audace pour choisir deux jeunes comédiens pas immédiatement séduisants. Paul et Esther nous agacent avant de nous plaire, leurs travers devenant leurs singularités, celles pour lesquelles on les aime, pour lesquelles on ne les oubliera pas. Linéaire mais fragmentée, l'histoire d'amour qui les nourrit, les envahit et les porte (constituant la majorité du film), puise sa matière et trouve sa densité dans cet assemblage complexe (comme celui d'un grand vin) entre la matière brute et animale des comédiens et l'écriture ciselée de dialogues impossibles. La romance devient une histoire unique, l'amour est transcendé.
Quentin Dolmaire et Lou Roy-Lecollinet portent donc le film avec toute l'énergie de leur jeunesse, tandis que Mathieu Amalric, "patron" de la maison Desplechin, vient nous éblouir dans une puissante scène de colère assumée qui sonne comme le point ultime du récit.
Trois souvenirs de ma jeunesse redonne le goût et le plaisir de l'histoire racontée. Visuellement et narrativement très abouti (sublimes split-screens, voix-off narrative très truffaldienne), il reprend à son compte une modernité et un romanesque oubliés dans un élan plein d'enthousiasme et d'amour du cinéma. C'est l'un des plus beaux films de l'année.