Oui, on peut dire que le cinéma est un art impur, une chimère artistique, ou tout ce qu’on voudra… et alors ? N’est-ce pas là sa force ? La couleur verte est une chimère artistique de bleu et de jaune, et que serait la peinture sans le vert ! Le béton est un hybride, et que serait l’architecture sans béton ! Le cinéma pioche partout, c’est presque son essence. Et de ce point de vue, Vincente Minnelli ne s’en tracasse pas. An American in Paris est la preuve – ultime ? – que le cinéma est un art impur (mais si puissant, comme un ouragan emportant tout ce qu’il trouve dans son chemin). A American in Paris c’est un mélange de danse et de musique, comme souvent avec Minnelli et comme prévu avec les comédies musicales. Mais cela va bien plus loin. La peinture est à l’honneur – heureusement puisque Jerry Mulligan (Gene Kelly) est un peintre. Je me disais, au bout d’un moment, que quand même on n’avait pas beaucoup vu Gene Kelly peindre (il y avait eu ce curieux mais élégant moment de peinture où henri présentait Lisa à son ami, mais Kelly n’y était pour rien), je me disais que la peinture semblait presque abandonnée au profit – et à mon grand bonheur ! – de la chanson et de la danse, lorsque cette longue séquence finale m’a giclé à la figure. Minnelli semblait nous dire tout haut : « Je n’ai pas fini mon tableau ! ». Oh, mais oui, le tableau de Gene Kelly était enfin là, sous la forme du rêve. Et le peintre, Kelly-Minnelli nous dévoilait tout son talent. Dans un décor en carton peint, Gene Kelly dansait au fur et à mesure que les couleurs se mélangeaient. Et les statues prenaient vie au rythme de ses claquettes. Et les décors dessinés au feutre noir se métamorphosaient en dessins hauts en couleur au rythme de la musique de Gershwin. Que dire de plus ? Le manque de peinture que j’avais remarqué était programmé, et cette séquence était là pour satisfaire ce mécontentement. La palette de Technicolor ajoutait à la féérie de Paris un charmant spectacle. Et quand on se disait, heureux, que c’était une surprise, une belle séquence, qui rendait le film remarquable, on était pris au court par un nouveau numéro qui s’enchaînait, et on était entraîné dans le rythme effréné, tellement étrange – mais tellement incroyable – jusqu’au moment où, à force de pirouettes et de claquettes, Jerry Mulligan revint à la réalité, heureux comme un roi. Oui, le cinéma est un art impur, oui, oui, oui… c’est tout son charme.