La classe, c'est comme le mal de mer : y'a ceux qui l'ont et ceux qui ne l'ont pas. Ce satané Joe, il l'a.
Film bizarrement mal-aimé, plus jamais distribué ou alors en français (un problème de copie ?), The Quiet American est pourtant à mes yeux à des coudées au-dessus de Soudain l'été dernier ou la Comtesse aux pieds nus. Il faut dire qu'il n'y a ni Ava Gardner, ni Montgomery Clift, ni Tennesse Williams, ça aide !
Quoi qu'il en soit, ici, Manckie s'en donne à coeur joie dans cette double histoire d'amour et de politique, mélange qui pourrait être bien indigeste sans le génie du réalisateur qui sait éviter tous les pièges d'un sujet un peu casse-gueule, pour tendre les siens à la place. Impossible de raconter le film sans dévoiler ce qui en fait tout le prix, mais je le dis tout de go : putain, Joe, tu m'as bien eu !
Finesse des dialogues, subtilité du propos, merveille d'ironie et de cruauté, le film prend son temps pour raconter les déboires du pauvre Fowles (Michael Redgrave, parfait en clone british de Gary Cooper et James Stewart réunis) perdu en pleine guerre civile indochinoise, berné par son intelligence même. Comme toujours chez Mankiewicz, plus les personnages sont persuadés d'avoir tout compris, et plus ils finissent par se tromper. Ce qui permet en passant au réalisateur de dresser un réquisitoire implacable contre la bien-pensance de ses compatriotes, à se demander comment le film a pu être projeté aux Etats-Unis. Le tout sans aucun manichéisme, mais avec une virtuosité qui ne tombe jamais dans le cynisme... la classe, je vous dis !