L’art des apparences, l’apparence de l’art

Dans Mi obra maestra (titre original signifiant « Mon chef d’oeuvre ») il est question d’art. L’art de mettre le public dans sa poche (le séduire, le convaincre voire le duper). Mais aussi ce qu’est l’art de manière générale, comment il est perçu, ce qu’il représente, comment et pourquoi on devient artiste, etc.


Commençons par la question fondamentale : qu’est-ce que l’art ? Comme il n’existe aucune réponse définitive, mais plutôt une infinité de nuances qui dépendent de la sensibilité de chaque personne, on sent d’emblée la vulnérabilité de l’art face au monde de ceux qui gravitent autour. Exemple tout simple avec l’ouverture du film, une jeune femme dans un musée qui demande à une assemblée de rester devant une toile pour la détailler, en annonçant que certainement personne parmi le groupe n’a pris le temps de consacrer 5 minutes à étudier une toile, alors qu’on a tous consacré des heures à un film ou bien un livre. Pourquoi cet a priori de supériorité des spécialistes ? Bref, la caméra s’attarde sur des détails de ce paysage de montagnes pour en faire saisir le style.


Le style ? Il reflète (il est censé refléter), la personnalité de l’artiste. Il peut en dire beaucoup sur ce qu’il veut transmettre. De plus, il évolue avec les années. Rappelons-nous par exemple les différentes époques recensées pour les œuvres de Picasso. La toile détaillée au début est l’œuvre de Renzo Nervi (Luis Brandoni), on peut supposer après sa mort. De son vivant, artiste bénéficiant d’une certaine notoriété, il expose dans une galerie sous la protection de son ami de longue date, Arturo Silva (Guillermo Francella). Mais Nervi est un vieux ronchon désabusé par le monde et les relations humaines, sans doute à force de côtoyer celles et ceux qui font de l’argent ou espèrent en faire en approchant les artistes (agents, galeristes, admirateurs plus ou moins sincères). Bref, il refuse d'assister au vernissage de sa dernière exposition, ce qui illustre au passage les rapports difficiles qu’il entretient avec Arturo.


La question qui se pose rapidement est celle de la valeur de ce que produit Renzo Nervi. Pour ce qui est de la valeur artistique, c’est une question de goût, elle peut être remise en question par son évolution stylistique. Pour ce qui est de la valeur marchande, c’est une question d’offre et de demande, ce qui devrait inciter à relativiser toute notoriété, sachant qu’elle dépend des goûts d’un public pas forcément au fait des intentions de l’artiste (problème insoluble de communication et de compréhension, d’où le mythe de l’artiste incompris et maudit, bien plus apprécié mort que vivant). Bien entendu, Renzo déteste les commandes. Mais il ne vend quasiment plus rien et il risque rapidement de se voir expulser de son logement à force de ne plus payer le loyer. Le voilà contraint d’accepter un contrat arrangé par Arturo.


Le film illustre avec brio les difficiles relations que l’artiste entretient avec le monde dans lequel il évolue. Un monde où les apparences comptent énormément. D’où ce besoin de se démarquer par un look hors normes et/ou un comportement provocateur. Pour Renzo le misanthrope vieillissant et désargenté, c’est le laisser-aller vestimentaire et la provocation comportementale, ce dont il joue avec maestria. De là à le considérer comme un grand artiste, ce sera à chaque spectateur (spectatrice) de se faire son idée. On peut quand même remarquer que dans ses rêves inaccessibles figure la possession d’une toile d’un artiste qu’il admire particulièrement. A son passif, on mettra la désinvolture avec laquelle il traite le jeune Alex (Raùl Arévalo) qui le supplie de devenir son maître dans l’apprentissage de la peinture. On verra que son attitude vis-à-vis d’Alex aura des conséquences importantes sur son avenir (d’homme et d’artiste).


Par son titre, Un coup de maître rappelle le jeu d’échecs et il s’en rapproche par la description des relations entre l’artiste et son entourage. Dans la première partie, Gastón Duprat s’en donne à cœur joie à coup de situations illustrant le caractère impossible de Renzo. Les surprises s’enchaînent sur le ton de la comédie. On en rit de bon cœur, le réalisateur n’ayant aucun complexe à lorgner du côté du vaudeville. On peut malgré tout reprocher au scénario (coécrit par Gastón Duprat et son frère Andrés), de trop insister dans ce sens, laissant facilement deviner certaines péripéties. Cette partie qui se termine à l’hôpital donne lieu à un rabibochage entre Renzo et Arturo ; on se demande quoi en penser. La deuxième partie loin de Buenos-Aires donne à voir de superbes paysages et permet à l’intrigue de trouver un nouveau souffle où l’aspect comédie reprend le dessus, tout en poursuivant la réflexion sur le monde de l’art, ses tenants et aboutissants.


Gastón Duprat réussit donc un film intelligent qui confirme après Citoyen d’honneur (2017), qu’il fait partie des réalisateurs à suivre. Même si sa mise en scène n’apporte rien de révolutionnaire, il profite très bien d’un casting de qualité et d’un scénario malin qui lui permettent de faire sentir l’ambiance de son pays en auscultant l’univers artistique. Il apporte également une réflexion pertinente sur l’authenticité et l’honnêteté.

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le 20 févr. 2019

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