J'aime beaucoup le cinéma de Jean-Pierre Melville de ses débuts et de l'ensemble de sa carrière du "silence de la mer" jusqu'aux cinq inoubliables "le doulos", "le deuxième souffle", "le samouraï", "L'armée des ombres" et "le cercle rouge".
Dans tous les films cités, on est dans l'épure. Dans la recherche de l'essentiel du héros, de l'expression de son âme au travers de ses gestes, de ses actions et de son visage. La parole, le dialogue ne font qu'apporter une petite touche supplémentaire pour préciser ou remodeler le personnage. Ça passe et ça marche car le spectateur devine, croit, voit un personnage avec son caractère, son histoire cachée ou publique, son fatalisme. En bref, son âme que Melville nous a dénudée.
Dans ces films-là, on peut parler de tragédie antique ; le spectateur dispose de tous les éléments pour comprendre les affres dans lesquelles les personnages vont se débattre pour finalement perdre face à des puissances supérieures, occultes ou pas. Le cœur du spectateur est étreint par une sourde angoisse. En effet, le "deus ex machina" Melville fournit au spectateur tous les éléments nécessaires pour qu'il développe une empathie pour ces personnages qui vont fatalement mourir. "Tous coupables" dira le flic de l'IGS dans "le cercle rouge". Condamné dès sa naissance à être seul et à mourir seul, le "samouraï". Interdits d'Arc de triomphe dans "l'armée des ombres" car un flic allemand leur impose de contourner et de s'éloigner de la place de l'Etoile.
Dans "un flic", il n'y a rien de tout ça. Melville a poussé l'épure tellement loin que les personnages n'ont plus d'épaisseur, n'ont plus d'histoire, n'ont plus d'âme.
Commençons par le héros principal qui est celui du flic (puisque c'est le titre de ce film) : le personnage du flic est laminé, raboté, ramené à des gestes automatiques (le téléphone dans la voiture qui provoque toujours la même lassante réponse, la tournée des indics, …) ; les portraits – nombreux et finalement peu signifiants – montrent comme une espèce de tristesse ou d'ennui ou d'indifférence. Même les adjoints ont compris depuis longtemps qu'ils n'avaient qu'une chose à faire, c'est de fermer leur gueule. Et là, je dis que l'épure, au lieu d'aller trouver l'essentiel du personnage, conduit au vide existentiel, à la caricature. Delon, puisqu'il s'agit de lui, fait des manières, joue au chef omniscient, fraie (consciemment ou pas, on n'en sait foutrement rien) avec les truands et au final n'est pas crédible.
Face à lui, les truands se démènent. Mais les personnages sont creux. J'aurais bien aimé comprendre pourquoi des êtres aussi dissemblables font des casses ensemble. Quelle est la motivation du personnage de Richard Crenna dans tout ça à part de faire des casses qui s'apparentent à des exploits. Quel rapport entre les personnages de Richard Crenna, André Pousse et Richard Cucciola ? Là encore, l'épure va trop loin et vide les personnages de leur substance. Concernant le personnage d'André Pousse, Melville l'a presque conçu à contre-emploi dans le rôle d'une quasi victime qui meurt presqu'au début du film …
La seule chose qu'on sait, car on connait Melville depuis le temps, c'est que tous ces quatre personnages courent à leur perte.
Et si je me laisse aller à une inhabituelle sévérité (de ma part) face à Melville, je dirais que les seules choses que je retiens du film ce sont les deux casses minutieusement et magnifiquement tournés.
Du reste du casting, Simone Valère est émouvante (c'est bien la seule d'ailleurs à déclencher un peu d'empathie de ma part) ; Catherine Deneuve est comme d'habitude (très) belle, hautaine et froide. Paul Crauchet est très bien en adjoint de Delon qui n'en pense pas moins. Mais on aurait attendu un peu plus de lui que ce rôle quasi silencieux.
Au final, une grande déception