Encore une fine exploration de la morale et de la justice pour Asghar Farhadi, qui tisse les fils de son intrigue de manière aussi tendue et complexe qu’un thriller, ce qui a le même effet, nous coller à l’écran, mais pas la même visée, puisqu’il s’agit moins de nous donner des frissons que de nous confronter à une complexité morale qui fait paraître le monde terriblement gris. Qui a tort, qui a raison ?
Et ici, peut-on mentir sans tromper ? “Le problème, ce n’est pas qu’il ment, le problème, c’est qu’on ne le comprend pas” dit un des personnages, révélant au passage le divorce peut-être irréconciliable entre intention et expression. Et donc, au bout du compte, l’insignifiance de nos actes. Qui peut dire ce qui se passe à l’intérieur de nos têtes et les motifs qui nous poussent à agir, au-delà de leurs effets ? La seule vérité n’existe que dans la tête de ceux qui nous jugent.
Ce qui se révèle une vraie tragédie quand ceux-ci ont un pouvoir sur nous. Que ce soit par une emprise financière ou judiciaire, on suit le martyre d’un personnage qui nous semble un peu confus, maladroit, mais en tout cas sincère. Belle performance de l’acteur principal qui, derrière son “air de chien battu”, communique une bonne volonté en lutte avec un désespoir croissant et qui continue à nous faire espérer que tout finira bien pour lui alors que rien ne semble aller dans cette direction.
Au contraire, si les choses commencent simplement, Asghar Farhadi les complexifient toutes les 15 minutes avec des retournements qui diluent de plus en plus les bonnes intentions dans une réalité implacable et mécanique. Les actes ont des conséquences, quelles que soient les raisons qui les animent, et la possibilité d’un mensonge vertueux est sérieusement mise à mal.
Alors que dans ses autres films, cette complexification semblait animée par des émotions terriblement humaines, ici, on observe au contraire la marche d’un monde presque inhumain. Tout ça est lié aux infrastructures et aux croyances du pays. C’est ce système qui est déshumanisé, ce qui est accentué par une culture de la dénonciation permise par les réseaux sociaux. Ce qui nous trouble cette fois, c’est donc moins les dilemmes moraux mais plutôt le fait d’observer une machine qui avance et qui broie et de constater que nous comprenons son mécanisme comme s’il nous appartenait. Cette machine, c’est le bus qui esquive le héros lors du premier et du (très beau) dernier plan du film.
Tragédie morale, film social, carnage émotionnel, c’est de nouveau tout ça pour le réalisateur, qui ne renouvelle pas son style (et il a fait mieux dans le genre) mais montre une énième fois qu’il a un talent assez vertigineux pour écrire des récits en spirale et mêler morale et politique. Même si encore une fois, tout le monde savait déjà ça.
Là les choses s’empilent d’une manière un peu plus étouffante que troublante, avec un héros simple et sincère aux prises avec une société qui ne l’est pas, mais ça reste évidemment assez bouleversant dans son portrait d’une éthique toujours relative.