2h30 à faire chauffer les cordes de la gratte : ça fait un bien fou aux oreilles. Une tignasse hirsute, un harmonica, des textes contestataires et une voix nasillarde, oui, on pourrait réduire Bob Dylan à ces quelques traits, mais comme avec la figure de Johnny Cash dans (l'excellentissime) Walk the Line, James Mangold préfère dépoussiérer avec passion et énergie son modèle, le rendant accessible au fan autant qu'au néophyte. On s'embarque dans un biopic qui enchaîne pas moins de 2h30 de bonnes musiques (pas forcément celles de Dylan, on nous fait écouter aussi toutes ses inspirations : vas-y, James, tourne le volume à fond), qui laisse Timothée Chalamet être le parfait Bob Dylan : non seulement il lui ressemble, mais le travail sur les chansons qu'il interprète lui-même est colossal (on n'était pas grand fan des originales, mais ces ré-arrangements-là, on s'est déjà promis de les prendre en vinyle). Aussi, si vous n'y connaissez rien, le film s'offre à vous sans a priori, en vous faisant goûter aux contextes qui ont construit l'artiste (les "baskets" - ces endroits où les poètes et chanteurs sans le sou passaient à la fin de la soirée avec le "panier" pour récolter trois pécules du public - où il a fait ses armes, ses premières face B de grands artistes qui ont commencé à le faire connaître, les festivals folks, sa relation avec Joan Baez et d'autres compagnes, la peur du nucléaire, son amitié avec Johnny Cash, son passage "cataclysmique" à la guitare électrique... Tout, ou presque, y est). Si vous êtes plus fin connaisseur, peut-être apprécierez-vous tous les clins-d'œil (non surlignés) que Mangold vous glisse : vous avez remarqué le sticker "This Machine Kills Fascists" dans la scène de la chanson à l'asile ? C'est celui qui a popularisé Woody Guthrie (le modèle de Bob Dylan, dont il volait les vinyles à la médiathèque), donc sa guitare personnelle (la marque de confiance la plus haute entre joueurs de folk), soit le premier témoignage qu'on assiste à la naissance d'un héritier de Guthrie, qui créera plus tard son style avec les sessions aux "baskets" calamiteuses (ce qui n'est pas montré dans le film, qui se concentre plutôt sur son ascension, mais sachez seulement que si le fiasco "guitare électrique" à Newport en 1965 qui conclue le film n'effraie nullement Bob, c'est qu'il a passé ses premières années à se faire huer et insulter sur scène), idem, une seule petite phrase innocente résume le bide monumental du premier album solo de Dylan (vendu à 1000 exemplaires sur 2500 boutiques, ça ne fait même pas un par boutique), et le film évite soigneusement toute réplique qui pourrait relier la chanson "Hard Rain" au contexte nucléaire qu'il montre en parallèle (car Dylan n'a jamais voulu associer les deux, et n'en a jamais démordu, alors Mangold a du respect : pas question de lui faire dire n'importe quoi sous le prétexte de la fiction). Ce genre de détails fourmillent et se destinent surtout aux "grands zicos", permettant de nourrir le biopic généreusement (on voit quasiment tout, le film est très copieux et concis) entre deux chansons formidables. Évidemment, quand on voit arriver Johnny Cash, on a les paroles qui nous démangent (et le court passage où il chante est du miel pour les oreilles), mais il est surtout ici pour donner un éclairage sur Dylan, aussi leurs scènes en commun font chaud au cœur, et même si l'on sait que cela ne s'est pas vraiment passé comme cela lors du concert "fiasco" (Johnny Cash n'était pas là), on s'en fiche, on aime rêver avec le film. Pour ne pas faire plus long qu'un solo live de Dylan, on dira simplement qu'Un parfait inconnu est le petit frère de (l'excellentissime, on l'a déjà dit ?) Walk the Line, d'un James Mangold toujours aussi amoureux de la musique (et de son spectateur, quel qu'il soit), et d'un Timothée Chalamet transcendé au possible. Et si vous vous demandez encore si vous devez y aller : la réponse, mon ami(e), est soufflée dans le vent (c'est oui).