Bon, je n'irai pas jusqu'à parler de chef d'œuvre, ni du film de l'année, mais après tout, nous ne sommes qu'en février... Mais "Un parfait inconnu" sera un des grands films de l'année 2025. Et certainement un des meilleurs de James Mangold. Peut-être même son meilleur si on écarte "Logan". J'avais déjà beaucoup aimé "Walk the line", le biopic sur Johnny Cash avec Joaquin Phoenix ; il m'avait fait découvrir ce dernier sous un autre angle, alors que je ne l'appréciais pas des masses. Et bien ici rebelote avec Thimothée Chalamet ! Oui, car en général, je trouve cet acteur assez fade. Mais là, j'avoue, malgré quelques réticences au début du film, que je me suis laissé emporté par son interprétation. D'autant plus que je savais que Chalamet a appris à jouer de la guitare en 5 ans pour ce rôle (merci la Covid qui a lui donné plus de temps prévu), et ça se voit et s'entend. Mais puisque j'ai démarré cette critique par le casting, autant continuer. Pas une fausse note... Mention spéciale à Edward Norton tout en sensibilité. Monica Barbaro est un quasi sosie de Joan Baez. Elle Fanning incarne Sylvie Russo (la jeune femme sur la pochette du premier vrai album de Dylan), à la fois traversée par la ferveur et par la jalousie. Une autre mention pour Scott McNairy dont l'interprétation d'un Woody Guthrie malade (dégénérescence héréditaire) est particulièrement touchante.


Le film démarre justement lors de la visite de Dylan à Guthrie à l'hôpital. Venu rencontrer son idole pour lequel il a écrit une chanson, Dylan va également y rencontrer Pete Seeger, et se lier d'amitié avec lui. Ce dernier, sentant qu'il a croisé un artiste réellement talentueux, sera pour beaucoup dans son début de carrière. Mais comme Dylan dit dès le début du film à Seeger, il ne se considère pas comme un chanteur folk. Car c'est là qu'il y a malentendu entre les deux hommes, et de fait, avec le public. Une bataille d'Hernani est en gestation dans cette rencontre.


D'abord un mot sur le contexte de l'époque, que Mangold reproduit de manière très efficace. L'année 1962 est marquée par une ambiance que l'on pourrait qualifier de merde... Les états du Sud sont le théâtre de tensions racistes extrêmes, et en fin d'année, c'est la crise des missiles de Cuba qui va précipiter toute la côte Est dans la terreur d'une possible nuit nucléaire, notamment New York, cible évidente. Mais cela faisait déjà un moment que la tension montait dans une Amérique divisée par la lutte pour les droits civiques, mais aussi l'engagement armé au Viet-Nam. Un des courants de la musique folk devint la Protest Song, dont Woody Guthrie, bercé à l'anarchisme, était un des piliers (à quand un biopic sur le destin incroyable de ce mec ?).


Quelques scènes habilement amenées montre que Dylan restait en permanence à l'écoute de son environnement, notamment sonore (la scène du sifflet). Ayant grandit dans une famille juive qui a fuit les pogroms européens, puis devenu ami avec un militant gauchiste qui lui fera découvrir Guthrie, et passionné de musique, Dylan avait un destin en partie forgé à sa naissance. On comprend mieux ainsi pourquoi il ne pouvait pas rester coincé dans un genre, aussi vertueux soit-il. A l'époque, il n'y avait que trois styles de musique qui tenaient la route : le blues, la folk et le rock & roll naissant. Dylan ne pouvait naturellement aller que vers le troisième et ses innovations. C'est d'ailleurs assez ironique de voir des amoureux de Protest song être aussi conservateur ; car il y a bien eu rupture entre une partie de son public et Dylan. Il y aurait d'ailleurs matière à creuser un peu plus sur l'ambiguïté des programmateurs du festival de Newport... Car si la musique folk n'est pas une question de "race", elle est originaire d'Europe et ses pratiquants et son public restent majoritairement blancs... Hors à l'époque Dylan avait déjà pris des engagements dans des manifestations anti racistes. C'est peut-être cela qui a accentué, inconsciemment, le sentiment de trahison ressenti. Dylan échappait à tout le monde, y compris à sa muse, Joan Baez.


C'est tout cette période que Mangold nous présente dans un film bourré de musique, des morceaux de Dylan bien sûr, mais pas que. Il manque pourtant deux trois "petites" choses pour que l'œuvre soit complète. Dylan avait rencontré les Beatles (une brève allusion dans le film), et il en avait été très impacté (la réciproque est vraie) ; et il manque aussi Sara, son autre muse avec qui il se mariera et aura ses 4 enfants, qu'il avait déjà rencontré à l'époque évoquée par le film, enfin, il manque ses engagements contestataires.


Si vous n'êtes pas fan de Dylan, ce n'est pas grave. D'abord Dylan n'a jamais eu le même succès en France. Son style musical, malgré quelques mélodies parmi les meilleures de sa génération, n'est pas hyper élaboré, et à moins d'être anglophone, difficile d'apprécier les textes de cet artiste qui a reçu pas moins que le prix Nobel de littérature il y a quelques années. D'ailleurs, s'il n'était pas présent à la remise du prix, j'ai entendu dire qu'il l'emportait parfois avec lui sur certains concerts. Comme quoi... Alors les autres raisons de regarder "Un parfait inconnu". Si vous êtes fan de Chalamet. Si vous voulez découvrir un artiste. Si vous voulez voir un bon film riche en émotions. Si vous êtes guitariste ou harmoniciste (ça marche aussi). Si vous êtes fan de l'ambiance de ces années là. Si vous avez apprécié les autres films de Mangold (notamment Walk the line). Et si vous aimez la musique, notamment folk, bien sûr ;) Un très bon film, porté par une très bonne distribution. Les multiples prix déjà obtenus par ce film sont amplement mérités. A ne pas rater.

Kerven
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il y a 6 jours

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