A part ses deux ou trois plus gros succès, je connais très peu l'œuvre de Bob Dylan. Cela me préserve de tout sentiment de trahison quand un film se penche sur sa vie, mais ne m’empêche pas de l'apprécier, comme ce fut le cas pour le formidable OVNI « I'm not There » tourné il y a une quinzaine d'années. Un Parfait Inconnu est plus conventionnel que le film de Todd Haynes mais pas moins intéressant.
Il se concentre sur une période courte de sa vie, les premières années de sa carrière entre 1961 et 65, et revient sur sa relation parfois contrariée avec le mouvement folk américain dont il a été la star montante et l’idole. On revit notamment ses participations au Newport Folk Festival, en particulier une dernière prestation « électrique » et controversée en 1965 qui marquera l'histoire de la musique.
Ces biopics resserrés sur une temporalité réduite sont souvent plus réussis car ils ne s'éparpillent pas et peuvent traiter en profondeur leur sujet. Ce qui épate avec Une Parfait Inconnu, c'est qu'il n’y a pas de drame, pas de grands traumas ni d’accès de violence à analyser chez son héros, Dylan n'est pas un personnage fondamentalement problématique. Tout juste évoque-t-on sa vie amoureuse, et sa relation compliquée avec Joan Baez (formidable Monica Barbaro), mais le sujet central reste la musique. Car plus que Dylan lui-même, le personnage principal de Un Parfait Inconnu est sa musique. Et ça marche. Le film de James Mangold creuse le rapport de l'artiste à son art et dissèque son processus créatif. Le scénario évoque ses inspirations, dévoile le feu qui l’animait déjà à son arrivée à New York et annonce le génie qu’il deviendra tout en affichant sa curiosité qui motivera l'évolution de son répertoire. Cela donne un biopic doux et beau, sans excès, ancré dans une période clé de l'histoire des Etats-Unis (avec la crise de la Baie des Cochons et l’assassinat de JFK) remarquablement reconstituée. Le contexte socio-politique agit discrètement en arrière-plan mais s’avère primordiale dans la construction de l’artiste et l’affirmation de son engagement.
La mise en scène enthousiasmante est rythmée par des passages chantés invariablement réussis, que ce soit dans une chambre d’hôpital, un appartement, sur scène ou en studio. Elles agissent en fil rouge et maintiennent notre intérêt constant.
Un Parfait Inconnu ne fait appel à aucun grand effet ni flamboyant ressort dramatique, mais parce que son réalisateur a confiance en ce qu'il raconte, qu’il croit en son personnage et à l’œuvre qu’il a créée, on adhère totalement à son projet. D’autant qu’il partage cette foi en Bob Dylan avec son comédien principal, Timothy Chalamet, sosie vocal bluffant du chanteur en plus d’en être un fin interprète. Le duo honore l’artiste et rend un très élégant hommage à ses débuts et à sa carrière.