Dans le court roman de Jean Giono « L’homme qui plantait des arbres », l’écrivain raconte comment un berger des Haute-Provence, besogneux et modeste, dédia toute son existence solitaire à la plantation de milliers d’arbres pour repeupler une terre déserte. Son rêve accompli, la lande nue et monotone, abandonnée de tous, devint après des années de dur labeur une forêt luxuriante où la vie, d’abord de la nature et ensuite des hommes, put y croître paisiblement.
Franz Jägerstätter, le paysan autrichien, héros principal du dernier film de Terrence Malick est un planteur d’arbre. Dans le sens où Giono l’entendait. Un homme simple, mais obstiné et inflexible, inconnu des manuels de l’histoire officielle, qui comme en parallèle du cours des temps et à l’insu du monde entier fit de sa liberté le plus puissant élan vers une humanité menacée.
En refusant de prêter allégeance à Hitler, Il est l’antithèse parfaite de ce qu’il combat. Son abnégation à rester droit quand d’autres tergiversent ou cèdent devient son arme, son mutisme envers les brimades un bouclier permanent contre la barbarie.
Terrence Malick retrouve dans Une Vie Cachée le cachet de ses premiers films. Ce récit plus linéaire et appliqué que ses dernières productions développe un lyrisme éclatant, sans se perdre comme ce fut le cas trop souvent dans une sorte de poésie new-age publicitaire et clinquante. Le plancher des vaches lui va si bien au réalisateur et s’il redescend pour notre plus grand bonheur sur terre, sa caméra semble néanmoins encore et toujours comme prostrée vers le arbres, les montagnes et le ciel. L’objectif est constamment attiré vers le céleste ou en lévitation quand il flotte autour des personnages. Cet onirisme est renforcé par les paysages bucoliques grandioses des Alpes autrichiennes. Dans cet écrin presque magique, La grammaire du réalisateur subjugue plus que jamais notre regard: Les contre-plongées béatifient les hommes, parfois les condamnent, quand ces travellings incessants épousent les sensations d’instants volés. Son grand angle capte tout. Et au climax de son déploiement il élève au rang de Saint un martyr. Un objecteur de conscience révolté.
On ressort de ce film éreinté par temps de beauté capturée. Mais aussi par cet épilogue inévitable… Aussi intense que bouleversant.
Une Vie Cachée sort d’outre-tombe un juste, un terrien oublié et pourtant si important. Un homme pour qui Albert Camus, aurait dit de lui s’il le connut, qu’il empêcha que le monde se défasse…