Blanche Neige est toute cassée, à l'intérieur.
La Belle au Bois Dormant ne se réveillera pas.
Leur prince, tout en cheveux longs et en taille de guêpe, tout en nez aquilin et en prunelles interminables, ne viendra plus. Il a abandonné son épée dans le coin d'une pièce obscure, raccroché sa cape de soie à un porte-manteau couvert de toiles d'araignées.
L'histoire n'a qu'une issue : la fuite, avant que ne survienne le dénouement tant attendu.
Mais il y aura des roses, n'en doutons pas. Il n'y aura même que ça, des roses : en boutons, en jardins, en pétales. Sans cesse ni retenue, au point qu'on les respirera presque.
Il y aura de l'amour, il y aura des doigts qui se nouent, il y aura des corps qui s'enlacent, il y aura des lèvres qui s'effleurent.
Il y aura, aussi, des duels haletants, des secrets haletés, des châteaux interdits, des épouvantails en ombres chinoises et des courses de bolides bio-mécaniques jusqu'au grand néant du monde extérieur.
Il y aura, également, des moments plus durs et des thématiques lourdes : homosexualité, inceste, abus sexuels : on ne badine pas avec les blessures d'enfance... dans cette "apocalypse d'adolescence" si bien nommée, l'innocence sera mise à rude épreuve.
Mais il y aura, aussi, des images magnifiques, des décors saisissants, des moments de tendresse libérateurs, des effets de mise en scène baroques à s'en tourner la tête, des visions incompréhensibles qu'on jurerait tout droit surgies d'un rêve - arrachées, même, comme on arracherait les ailes d'un papillon.
Il y aura de l'excès, il y aura de l'audace, il y aura du sens en poupées gigognes, il y aura de la surenchère - au point que l'on ne saura plus où donner de la matière grise.
Sans trêve, ni répit, ni baisse de régime, ça dégouline, ça explose, ça éclabousse de guimauve, d'énigmes et de symbolisme.
Qu'on connaisse la série ou qu'on n'en sache rien, on ne comprendra pas tout, c'est certain. On ne comprendra même pas grand chose - au premier visionnage, du moins. Il sera nécessaire d'y revenir, mais qu'à cela ne tienne : dans son propos comme dans son kaléidoscope de couleurs surnaturelles, dans son esthétique flamboyante comme dans sa bande-sonore parfaite, à la note près, le film est plus qu'un film. Malgré ses designs caricaturaux et ses prémices convenues, il se hisse sans effort au rang convoité d'oeuvre d'art, et rivalise sans peine avec les films de Mamoru Oshii. Spectacle surréel aussi sublime qu'hypnotique, il fascine de sa toute première à sa dernière minute.
Et n'en finit pas de hanter.