Petite île lacustre de Norvège à la superficie de 0,12 km² et propriété du parti de la Jeunesse Travailliste (pour faire court, de très jeunes militants de gauche et d'extrême gauche), Utøya fut soumis à un atroce massacre le vendredi 22 juillet 2011 où 69 adolescents des deux sexes périrent par balles, assassinés de sang-froid par un militant d'extrême-droite. L'histoire est tristement célèbre, elle défraya la chronique aux quatre coins de l'Occident et permit, durant un laps de temps, à mettre en garde la jeunesse envers la dangerosité de l'extrême-droite qui, elle, redouble perpétuellement d'énergie pour se dédiaboliser en toute légalité. Suite à une (très) longue tuerie de 72 minutes, l'assassin d'Utøya fut arrêté par la police et revendiqua l'attentat terroriste perpétré 2 heures plus tôt à Oslo qui fit 8 victimes de plus. Au total, l'homme a assassiné 77 innocents en moins de 4 heures au nom d'une idéologie prônant le conservatisme culturel, l'ultranationalisme, le populisme de droite, l'islamophobie, le sionisme d'extrême droite, l'antiféminisme et le nationalisme blanc. Tout un programme ! Jugé et condamné à 21 ans de prison, peine maximale en Norvège, qui pourra être prolongée indéfiniment tant qu'il sera considéré comme dangereux, le terroriste n'est ni nommé ni visible (à peine une silhouette esquissée lors d'une scène) dans Utøya, 22 Juillet, talentueusement mis en scène par Erik Poppe 6 ans après le drame.
3 ans de travail intense furent nécessaires pour le cinéaste norvégien afin d'étudier chaque document et chaque intervention alloués par les jeunes survivants du massacre. Leur choc post-traumatique, leur peine, leur colère, Poppe les honore au plus profond de son humanisme et enrage en constatant la surmédiatisation du criminel qui guide certains discours à l'ériger en tant que martyre. Poppe, lui, veut absolument rendre la mémoire du drame d'Utøya aux véritables victimes. À tous ces adolescents fauchés entre 14 et 18 ans et qui avaient la vie devant eux.
Pour ce faire, les scénaristes Anna Bache-Wiig et Siv Rajendram Eliassen inventent le personnage de Kaja, une militante politique active et dynamique de 17 ans, à laquelle l'on s'attache en une petite poignée de minutes. Et cela tombe bien, puisque la caméra ne va pas la lâcher durant 1h30 car, hormis son intro à Oslo constitué d'images d'archives, l'œuvre est tournée en cinq plans-séquences sur cinq jours. Un tour de force hallucinant et servi par une équipe technique aussi imparable qu'ultra préparée. L'interprète de Kaja, Andrea Berntzen, exceptionnelle amatrice à l'époque, remportera par ailleurs l'Amanda de la meilleure actrice (l'équivalent norvégien des César et des Oscars) pour un rôle aussi émouvant que physique qui lancera, par ailleurs, sa carrière d'actrice à l'international (elle est l'une des héroïnes de la série The Girl from Oslo produite par Netflix).
Malgré le succès critique et public du film en Norvège et dans le reste du monde, Utøya, 22 Juillet n'aura malheureusement pas beaucoup de succès en France avec à peine 5 862 entrées. Certaines critiques (professionnelles ou pas) étant injustement sévères sur la forme comme sur le fond du métrage. Pourtant, Poppe n'offre aucunement un "spectacle" grand public et hollywoodien à l'image de Un 22 Juillet, tourné quasi simultanément sous l'égide de Paul Greengrass et abordant le même sujet. Peut-être une question de sensibilité, je n'en sais rien.
À l'instar du cruel Elephant de Gus Van Sant, Utøya, 22 Juillet nous plonge au cœur de la tuerie en temps réel, l'action étant chronologiquement conseillée par deux survivants du massacre et réalisée avec une pudeur qui force le plus grand des respects. Une terreur ultra malaisante inonde ainsi l'écran, où des gamines meurent en marmonnant "maman" dans leur dernier souffle et où il n'y a aucune échappatoire aux sons des coups de feu inlassablement tirés. Cela s'est déroulé dans la boue et la peur. Le 22 juillet 2011. Il y a eu 69 morts et ce film est le leur.
Mille mercis à Super-Marmotte pour la découverte.