Les suites, Disney, ça il connaît.
Déjà quand j'étais gamin, au siècle dernier, je me souviens de ces Cendrillon 2 ou de ces La Belle et la bête 2 qui ornaient les étals de l'hypermarché voisin. Ça ne donnait pas envie. Personne n'était d'ailleurs dupe sur la nature et la qualité du produit. Mais dans une logique consumériste propre à ces temples de l'achat incitatif, ça pouvait arriver que, pour calmer la petite Amélie, on lui prenne une de ces VHS le temps de faire puis de ranger les courses. C'était là une manière un peu sale pour l'Oncle Walt de se remplir les poches en exploitant un brin facilement ses licences, c'est vrai, mais comme déjà dit à l'instant, personne n'était vraiment dupe : au cinéma les usines à rêves et au Carrefour du coin le dérivé consommable visant à pigeonner le chaland. C'était pas très classe, mais au moins ça avait le mérite de faire la part des choses...
Quelques décennies plus tard, nous voilà donc en cette fin de premier quart de vingt-et-unième siècle et – c'est désormais manifeste – le studio à la petite souris n'a plus les mêmes scrupules, et ce Vaiana 2 vient nous le rappeler au cas où on l'aurait oublié. Le cinéma n'est plus à présent qu'un temple de la consommation comme un autre. Usine à rêves ou usines à pez, au fond quelle différence ? Et ce n'est pas parce que cette suite du film de 2016 a le droit aux honneurs du grand écran que pour autant il aura été pensé autrement qu'un pathétique Cendrillon 2.
Car oui – et c'est certainement ce qui surprendra le plus celui ou celle qui est venu dans l'espoir de retrouver l'esprit épique ou créatif du premier opus – ce Vaiana 2 brille par son absence totale d'ambition. Les premières minutes s'égrènent par dizaines et rien de neuf à se mettre sous la dent. On refait le tour de cette île qu'on connait déjà ; on retrouve tous les personnages qu'on avait laissés ; on reprend les motifs narratifs déjà racontés à base de traditions et d'ancêtres à respecter... On a le droit à tout, par le menu, pendant des plombes. À croire qu'il était concevable pour les auteurs de ce film qu'on puisse se contenter du seul émoi de revoir notre héroïne et ses amis sur grand écran ; sachant pleinement nous satisfaire de cette excitation que suscite le fait de découvrir la nouvelle tenue de Vaiana, le nouveau cochon venu s'ajouter à l'ancien, ainsi que tous les nouveaux personnages goodies venus compléter la collection de futurs jouets.
Une demi-heure de film et rien n'est vraiment posé qu'on ne connaisse déjà. Et tout ça s'agite d'une manière incroyablement poussive, enchaînant les situations aussi stéréotypées que jetables, à tel point que je me suis longtemps demandé quand l'intrigue allait réellement se lancer... Pourtant la réponse je la connaissais déjà. D'intrigue il n'y aurait pas vraiment. Ce n'était pas l'enjeu. Ce n'était pas l'objectif. Jusqu'au bout, ce film restera fidèle à sa logique de produit d'hypermarché.
Alors après, c'est vrai, pour du produit d'hypermarché, ça reste du travail techniquement bien ouvragé. Les effets d'eau, de lumière, de tempête et d'éclair sont visuellement splendides, une ou deux chansons sauront se poser comme des clips efficaces (à tel point qu'on regrette qu'ils ne participent en rien au lancement d'une dynamique) et le scénario respectera le cahier des charges des points de passage obligés à base de discours mobilisateurs, de moments de doute et d'épreuve d'accomplissement ; soit tous les éléments qui feront en sorte que les petits comme les grands enfants ne se sentiront jamais vraiment lésés...
Mais par contre, sitôt considère-t-on ce film au-delà de ses considérations manufacturières, qu'on est bien contraint de considérer qu'il ne nous reste que peu de choses. Rien en somme. Un spectacle qui, sur tous les points, trahit une absence sidérante d'enjeu, de tension, voire même de propos. Des figures obligées sont régulièrement mobilisées mais sans qu'à aucun moment ça ne se matérialise à l'écran. On invoque le respect des ancêtres à outrance mais, à côté de ça, on passe son temps à fister la culture maori en y glissant régulièrement des clins d'oeil à la culture noire américaine (et pour ne rien en faire de signifiant, bien évidemment). On chante régulièrement l'importance de faire équipe mais, au bout du compte, c'est toujours à Vaiana de faire les choses seules car c'eeeest saaaa destinéeeeeee ! Et puis surtout – le plus frappant – on ne cesse de produire des injonctions à la prise de risque et au sacrifice alors qu'à AUCUN moment Vaiana se sera confrontée à du danger. Alors, bien sûr, on aura mis sur son parcours moult monstres et occasions de mourir, mais à chaque fois le stress qu'a Disney d'instaurer un micro début de tension l'amène à désamorcer tout de suite le problème qu'il avait à peine commencé à instaurer.
Et c'est certainement ce dernier point-là qui, me concernant, dans ce Vaiana 2, m'a le plus sidéré. Jamais aucune épreuve n'éprouve vraiment. Celles-ci peinent à survenir, impactent peu, se présentent davantage comme des attractions – au sens forain du terme – plutôt que comme de véritables péripéties durant lesquelles l'héroïne ou ses acolytes vont être malmenées au point d'avoir à faire des choix ou à en subir les conséquences.
(Je retiens par exemple ce moment où Maui semble prêt à perdre ses pouvoirs divins pour distraire suffisamment longtemps l'ennemi de Vaiana. C'est un moment intéressant quand on connaît la vanité du personnage. Redevenir mortel et ordinaire aura nécessairement un coût le concernant. Mais non. Finalement il recouvre ses pouvoirs dans les deux minutes qui suivent, sitôt est-il venu au secours de Vaiana parce que... Bah parce que c'est tout. Voilà. C'est comme ça. Rien ne changera dans le monde de Disney. Il ne faudrait pas non plus que les épreuves soient éprouvantes et que les enchaînements d'événements permettent de raconter des parcours. Quelle idée...)
C'en est à tel point qu'alors que l'aventure ne semble pas encore s'être véritablement lancée, on arrive déjà à la confrontation finale durant laquelle chaque effort accompli peine à se montrer coûteux ; au point qu'on serait clairement en droit de soupirer quand, au bout du compte, tout se règle par l'action seule de Vaiana ; action dont on se demande d'ailleurs pourquoi elle ne l'a pas menée plus tôt tant la résolution finale fut fastidieuse.
Côté rencontre : même constat. Rien n'imprime, tout est expédié. Tout ce petit monde défile sous nos yeux comme dans les barques des Pirates des Caraïbes d'Adventure Land. Chacun occupe un temps le devant de la scène histoire de faire quelques simagrées puis s'en va, parfois pour ne plus jamais revenir. Ce défilé est d'ailleurs aussi valable pour les opposants : lourdement annoncée pour l'une d'entre elle pour ensuite faire pschitt, quant à l'autre – et c'est toute la blague ! – il tardera tellement à faire son apparition qu'on ne découvrira que dans une scène post-générique.
Oui, vous avez bien lu : une scène post-générique... Dans Vaiana.
On en est là...
De bien des façons, voir défiler ce générique de fin, c'est vraiment prendre toute la mesure de ce qui sépare le premier Vaiana de ce second opus. C'est aussi et surtout considérer, par leur entremise, tout ce qui sépare le Disney d'aujourd'hui de celui d'il y a huit ans. En 2016, Disney venait d'ingérer Pixar et, avec lui, tout son esprit créatif. C'était alors l'occasion pour la firme de Mickey de repenser ses standards et d'explorer de nouveaux horizons, au point de produire des films qui – à ma grande surprise – savaient susciter mon intérêt. Mais là, en 2024, on ressort d'une période où c'est Marvel qui s'est fait avaler par l'ogre Disney, et les effets s'en ressentent de partout. Tout est dilué. Rien n'impacte. On lisse ici. On ironise là. On noie le tout dans du maniérisme permanent qui, à lui seul, pourrait d'ailleurs symboliser ce mouvement constant visant à masquer le fait qu'en fait rien ne bouge. Car c'est bien de cela dont il est question. Il s'agit de ne rien dire pour ne brusquer personne. Ne rien raconter pour n'en choquer aucun. Mais malgré tout exister juste pour encaisser. Disney ou l'absurdité du capitalisme faite studio de cinéma : s'efforcer de générer de la valeur à partir de rien de nouveau ; de rien qui ne soit véritablement produit.
C'est consternant.
Qu'on se le tienne donc pour dit : on n'en a pas fini d'en finir. L'empire s'étend et son opération de stérilisation artistique s'étend avec lui. Disney semble vouloir faire de notre monde un gigantesque hypermarché – et grand bien lui fasse – mais ça se fera sans moi.
Je crois qu'aujourd'hui plus que jamais, il est temps de s'éloigner des grandes usines à rêves si on espère encore un temps soit peu rêver.
Alors laissons cette Vaiana à sa mer de javel et allons chercher de ce pas ce petit lagon où le poisson sera plus frais.