The Big Short était un film dynamique, rythmé, malin et relativement original dans la forme. Au moment de s'attaquer à un film sur "l'oeuvre" de Dick Cheney, Adam Mckay allait évidemment se reposer sur son savoir-faire. Si le côté didactique s'imposait dans le film sur la crise, car la finance est un domaine technique, la vie du surpuissant Vice président des USA n'avait peut-être pas besoin de recevoir un tel traitement. A moins d'avoir la volonté d'appuyer fortement un point de vue.
Les hommes du Vice président
La soif bien américaine de storytelling étant plus forte que le besoin de nuance, Adam Mckay avait semble-t-il une envie viscérale d'étaler au grand jour les turpitudes de la gouvernance américaine, quitte à prendre le spectateur par le bras. On perçoit son ombre directrice derrière Christian Bale à chaque plan, à chaque ralenti accompagné de voix off ou de messages informatifs, comme s'il puisait plus dans ses fantasmes que dans les témoignages directs sur le Vice Président. Le peu d'informations sur la vie privée de Cheney pourrait être une contrainte. C'est en réalité une aubaine. Le réalisme est mis de côté, il a pu pleinement miser sur l'humour et le symbolisme, bref des éléments filmiques plus efficaces.
A la différence de Big Short, il n'était pas utile d'avoir recours à des stars hollywoodiennes pour vulgariser les méfaits du grand méchant Cheney. Noami Watts qui intervient en présentatrice de Fox news pour expliquer que les Républicains ont leur propre chaîne d'infos partisanes (comme si c'était pas le cas des démocrates) est totalement superflu. Idem pour Alfred Molina en serveur de grand restaurant qui vient expliquer une seconde fois la théorie d'état exécutif unitaire. Le problème du cinéma "militant" ou "partisan" est qu'il tombe souvent dans le manichéisme, c'est le cas ici. D'où l'impression de regarder parfois du Michael Moore semi fictionnel.
Dick Cheney, Donald Rummsfeld et leur bataillon juridique qui œuvrent dans l'ombre pour triturer la constitution et renforcer l’exécutif sont des saloperies, on le savait déjà tous depuis leurs répliques du 11/09, et mettre en lumière les exactions de ces types détestables est une bonne chose. Mais compenser le manque d'information par son ressenti et par une mise en scène chargée de dérision affectent parfois le rendu (le monologue shakespearien sur la proposition d'être VP, la fausse fin au milieu du film, bonne idée mais mal exploitée car un poil trop longue).
Le principal reproche qu'on peut adresser au film est son symbolisme appuyé : la scène du cœur, les hameçons, le photomontage avec toutes les catastrophes mondiales, et les enfants en prison dont Cheney serait le principal responsable. Comme le réchauffement climatique, l'homophobie, et même l'islamisme (oui, oui !). Mckay ne se rend pas compte que son film est en réalité un hommage à l'impérialisme américain, en le voyant aussi fort, puissant, seul responsable de tout les désordres du monde. C'est le plus bel éloge que Cheney pouvait recevoir en un sens. C'est d'autre part une vision contestable de la géopolitique mondiale. Pour ne pas dire mégalo, car penser que la planète n'est qu'un amas de gens qui subissent avec l'impuissance la plus totale le joug américain - et donc de Cheney - est un manque de mesure..
Cheney est tellement pourri que les autres présidents paraissent être de doux gaffeurs en comparaison. W Bush est même "innocenté, car trop con pour être diabolique. D'ailleurs Sam Rockwell est génial dans le rôle de ce cowboy obsédé par le barbecue. Les acteurs se font plaisir, Steve Carrell est une fois de plus excellent dans un rôle connard carnassier . Et on se dit dès lors qu'un pur film comique sans volonté forcenée de dénoncer eût été préférable.
Le rappel à l'ordre
Les périodes Jimmy Carter et Obama sont survolées comme des parenthèses enchantées avec une poignée d'images où se mêlent énergie solaire et communion nationale. Comme si les Républicains avaient les seuls le monopole des manipulations de l'opinion via des conseillers en com servant de la novlangue aux masses écervelées (cf les séances de sondage avec rednecks droitards et millenials limités).
Que Cheney soit un connard peu soucieux de la vie humaine, qu'il ait utilisé sa fonction pour s'enrichir et renforcer l’exécutif, frappé des pays qui n'avaient rien à voir avec le 11/09, afin de favoriser des holdings américaines est indéniable. Mais Adam Mckay a tellement mis le paquet qu'après deux heures on sature un peu devant un tel flot d'informations partiales. Et quand il consent à accorder un brin d'humanité au bonhomme en le faisant accepter avec beaucoup d'amour paternel, l'homosexualité d'une de ses filles, c'est pour mieux montrer par la suite combien ce salopard est accroc à la trahison.
Et la scène post générique est particulièrement symptomatique. Un panel d'américains moyens est invité à s'exprimer sur le film. Un électeur de Trump bien con et sale s'exclame "c'est un film de propagande de gauchiste !" Ce à quoi, un individu éclairé, démocrate propre sur lui rétorque que non, tout est vrai dans le film et que c'est objectif... Là dessus les deux s’écharpent. Et cette scène est un peu énervante. Parce que c'est une façon pour Mckay de rattraper par le col les éventuels sceptiques quant à sa vision des événements. Si à la fin du film, le spectateur était pris d'un doute, il lui assène "mais si tu penses que mon film n'est pas objectif, c'est que t'es trumpiste qui s'ignore mon ptit pote !". Ce pied de nez est destiné à faire basculer les derniers récalcitrants. Et l'humour est une arme que Mckay maîtrise bien mieux que l'objectivité.
A force de le marteler sans la moindre nuance, le message perd de sa force de conviction et affecte un propos trop bien intentionné. Avec plus de distance, le film aurait pu faire mouche. Un Scorsese aurait évité de survaloriser sa droiture morale à travers les images, et aurait certainement mis tout le monde d'accord. Pour trouver des satires politiques plus fines on se tournera vers les séries South Park et Veep qui par leur cynisme intégral font plus confiance au spectateur.