Adam McKay, passé de trublion aux comédies potaches à réalisateur analyste de la vie politique des Etats-Unis, avait déjà brillé avec The Big Short, un film au style unique, qui offrait un point de vue cynique sur une histoire vraie survenue aux débuts de ce qui allait être la crise des subprimes.
La recette avec Vice est la même, mais McKay y va ici encore plus fort. Si The Big Short masquait derrière sa truculente histoire d'arnaque et ses personnages de génies outsiders une saillie virulente contre la cupidité et la dérégulation économique incarnée par la Bourse, Vice, et ce dès son titre (entendre autant le vice que le vice-président, au cas où), va plus loin et plus fort.
Et tout simplement parce que son sujet l'y oblige ; Vice, au-delà du biopic (qui s'il s'avère classique au début, montrant avec efficacité les échelons gravis par Dick Cheney, allant de poste en poste, et s'approchant de plus en plus du pouvoir suprême), est un film politique (entendre ici : un film de gauche).


Dick Cheney, McKay veut se le faire.
Purement et simplement, et lui mettre sur le dos (peut-être à raison) une bonne majorité des maux qui ébranlent aujourd'hui les Etats-Unis, voire le monde.
Voir le film sortir en 2019 est bien plus pertinent que s'il était sorti dix ans plus tôt : on y découvre le rôle de Cheney et de l'ensemble des collaborateurs du président Bush (fils) dans, par exemple, la mort de 600 000 civils en Irak dans une guerre faussement justifiée, ou bien encore dans la création plus ou moins indirecte de l'Etat Islamique. Et l'on ne cesse de faire le parallèle (voulu) avec l'administration Trump.


Si l'on veut grossir le trait, les morts des différents attentats et l'état d'urgence permanent de la France sont, en partie la faute de cet homme.


Je grossis le trait car c'est que fait McKay, non sans finesse la plupart du temps.
La forme de son film l'aide grandement dans sa démarche.
Au rythme d'une invention de mise en scène tous les quarts d'heures (ce qui faisait déjà le succès de son précédent film) McKay cavale à bride rabattue ; le quatrième mur est délibérément brisé, la fiction aide à mettre en scène la réalité historique (une hilarante scène au restaurant où le serveur liste le menu des entraves aux droits humains), des guests en veux-tu en voilà qui interviennent dans le récit, des images d'archives au rapport avec l'histoire toujours ingénieux et décalés, des encarts de la part des scénaristes eux-mêmes (l'aveu de l'honnêteté de leurs recherches en début de film), une fausse fin en plein milieu, ...
Ces multiples trouvailles permettent un rythme dense et parfaitement soutenu tout au long de ces un peu plus de heures qui traitent d'un sujet dont l'aridité aurait pu repousser.
McKay n'a donc pas son pareil pour traiter à sa façon le genre du biopic et lui donner toutes ses lettres de noblesse.


Il pèche parfois par excès, par l'envie réelle de dézinguer ce bonhomme, malheureusement trop inconnu du reste du monde (et parfois même, c'est plus grave, des Américains) et par l'envie contradictoire de donner une âme, un cœur à ce personnage qui le fascine (métaphore lourde à l'appui). En illustrant les conséquences, pourtant bien compréhensibles, des décisions politiques sur des vies innocentes à des milliers de kilomètres (parfois avec brutalité - on pense à cette famille Cambodgienne bombardée à la suite d'une discussion à huis clos entre Nixon et Kissinger), il sombre parfois dans le trop explicite et le sentimentalisme.


Mais revenons au bonhomme en question, Dick Cheney. Il dirigea peu ou prou les Etats-Unis lorsqu'il donna les pleins pouvoirs à son président George Bush et profita de son incompétence pour prendre subtilement sa place, s'entourant comme il le faut et bloquant à sa guise, à grands coups de ristournes politiques, le pouvoir démocratique. L'intérêt du film est notamment de montrer avec brio le pouvoir de mauvaise foi et de lecture inversée et retournée qui sévit dans cette classe politique. En détournant des textes, en lisant sous un autre angle des traités internationaux, Dick Cheney s'est à peu près tout permis, légalement.


Le film révèle son potentiel de dénonciation dans trois scènes glaçantes, particulièrement marquantes, montrant toute l'ampleur de cette manipulation politique.



  • Dick Cheney, avant de devenir l'assistant de Donald Rumsfeld, décide, non par conviction, mais par pur opportunisme, de devenir républicain. C'est terrifiant si l'on considère que ce choix hasardeux (Rumsfeld aurait été démocrate, Cheney l'aurait été aussi) va déterminer la totalité de la politique de Cheney et ses prises de position, sans vraiment de conviction (ou plutôt une auto-conviction, a posteriori, que "it was the right thing to do").


  • Des campagnes de communication sont lancées à la suite des attentats du 11 septembre 2001 pour cerner la population américaine, et surtout, cerner son potentiel manipulable. Comme dans Les Heures Sombres, mais bien mieux montré, ce sont les mots, leur retournement, leur déformation, qui font plier l'opinion ; l'esprit de vengeance du peuple américain, assoiffé de sang à la suite des attentats qui ne peuvent rester impunis, seront le moteur au lancement de la seconde Guerre du Golfe ciblant précisément l'Irak. En effet il faut se battre, mais contre qui se battre lorsque cet ennemi n'est pas défini ? En le convertissant en un pays ; l'Irak, en l'occurrence, mais le ton du film est de nous faire comprendre que sans les intérêts économiques (pétroliers), cela aurait pu tomber sur n'importe quel pays du Moyen-Orient. Une guerre est donc plus acceptable lorsqu'elle vise un Etat dressé en ennemi suprême.
    Tout comme le réchauffement climatique est moins terrifiant lorsqu'il est appelé changement climatique.
    Tout comme la torture est plus acceptable lorsqu'elle n'est pas réalisée sur le sol américain, mais à Guantanamo, hors de la vue de tous.
    Et ainsi de suite.


  • Pour justifier l'intervention en Irak, c'est la chasse à la petite piste ; un taliban d'alors aux liens avec Al-Qaïda habite en Irak. Il est désigné comme l'ennemi, et justifie à lui seul l'attaque de ce pays. Ce taliban, devenu contre son gré célèbre à la suite de nombreux discours américains évoquant son nom, enorgueilli et consolidé comme leader, est l'un des futurs fondateurs de l'Etat Islamique.



Face à tant d'aberrations politiques, face au sentiment que tout nous échappe, que certains ont un pouvoir inarrêtable, que la démocratie n'est qu'un décor cachant les choix de quelques hommes en quête de toujours plus de pouvoir, que nous pouvons être, sinon tué, au moins quotidiennement impacté par des décisions politiques, que le droit et la dignité humaine peuvent être balayés d'un revers de main, que des personnalités littéralement sans foi, sans loi, sans honneur, nous gouvernent, il ne reste plus que le rire.


Et McKay sauve son film de la gravité et parfois de sa propre lourdeur, par son humour.
Un humour cynique, ravageur, carnassier, face auquel on rit jaune, notamment par son art de la caricature dans lequel excellent aussi ses comédiens, Christian Bale en tête évidemment, oscarisable à souhait métamorphosé en Dick Cheney, reprenant, tout en surpoids et prothèses, les gestes de l'ancien vice-président, et ce à la mimique prêt. Sam Rockwell s'en sort également bien en incarnant un George Bush d'une bêtise crasse, la plupart du temps tellement largué qu'il s'en réfère à ce que lui souffle dans l'oreille son Vice Cheney, en feignant que l'idée vient de lui.


Ne reste donc plus que le rire, comme cette scène, quasi-post générique, faisant explicitement le parallèle entre l'Histoire récente et la situation (trumpienne) actuelle, montrant en quelques secondes le cœur même du conflit civil qui couve dans ce pays ; une haine et une violence qui attend pour exploser d'une part, une élite intello-bobo gauchisante (à laquelle le film s'identifie avec beaucoup d'honnêteté derrière son humour vache) d'autre part, et, peut-être plus pathétique, une majorité qui préfère ne rien voir, se désintéresse de ce qui la régit, et ne rêve que de voir le dernier Fast And Furious.


(rires)

Créée

le 17 nov. 2020

Critique lue 226 fois

Charles Dubois

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