Après avoir été l'un des artisans les plus efficaces de la comédie américaine sur la décennie 2000-2010, Adam McKay s'est métamorphosé en cinéaste poil à gratter, laissant entrer le sérieux et le tragique dans son univers pour mieux projeter l'acidité de son humour dans le notre. En 2015, il s'attaquait à la crise des subprimes avec The Bigh Short. À la fois gentiment outrancier et méchamment drôle, il était permis de sortir sonné par un film qui passait à la moulinette les fondations mêmes d'un système capitaliste en roue libre. Aujourd'hui, McKay entend bien faire sa fête à la figure hautement controversée de Dick Cheney, collistier du non-moins problématique Georges Bush Jr. Un homme de l'ombre qui a bâti sa réussite en faisant mine d'être en retrait tout en grapillant de plus en plus de pouvoir. Une éminence grise qui a traversé les décennies en passant d'un leader conservateur à un autre, infusant son venin dans les organes politiques américaines jusqu'à ce qu'il empoisonne la nation toute entière, et plus encore. Une des têtes pensantes du détraquement des valeurs aux U.S.A et du matraquage au Moyen-Orient, qui sera pilé et pillé pour servir les envies de grandeurs d'hommes qui avaient déjà tout.
Dick Cheney, le prototype parfait pour un biopic hors normes? Oh que oui, ne serait-ce que parce Adam McKay n'est pas le genre de réalisateur qui fraye avec l'académisme. Ou parce que le même McKay, avant de passer derrière la caméra, était l'une des plumes les plus acérées du Saturday Night Live, émission satirique où le gratin politicard de Washington était passé à la moulinette. Et comme de juste, cette irrévérence - qui parcourait aussi The Big Short - sera de mise ici. McKay multiplie les outils usuels du biopic traditionnel à disposition (flash-backs, voix off, récit chronologique) pour mieux les détourner. À l'heure où l'actuel président américain pose un sérieux problème à la satire télévisuelle (comment dépasser quelqu'un qui pousse la bouffonnerie à ce point ?), McKay choisit d'attaquer l'ex-Vice président sur tous les fronts. On rit autant qu'on frémit devant l'ascension inexorable d'un ogre qui va dévorer tout ce que la vie mettra sur sa route : ses adversaires, ses partenaires et son humanité. Le mythe de Faust n'est pas loin (et le film y va même de sa petite séquence opéra troublante). Christian Bale a le champ libre pour démonter l'homme derrière le politicien. C'est de toute beauté, l'acteur parvient à livrer l'une de ses performances les plus fascinantes. Et de prouver par l'absurde que oui, même un personnage aussi monstrueux peut subjuguer. Il élève Vice bien au delà de ses artifices qui n'étaient pas loin de saborder le film. Parce que si les choix narratifs de McKay sont audacieux ou originaux, leur multiplication surcharge inutilement le film jusqu'à épuisement. Les allers et venues dans le temps sont parfois déstabilisants, et pas mal de seconds rôles n'ont pas les assises pour rendre le long-métrage plus équilibré. On peut se réjouir d'avoir un Steve Carrell désopilant de vulgarité dans le costard de Donald Rumsfeld mais regretter le temps limité accordé au génial Sam Rockwell, pourtant parfait dans les santiags de l'andouille Bush Jr. Comme pour The Bigh Short, il est possible de sortir du film sonné par l'amoncellement d'informations et de tentatives. Ou par ce constat désabusé que Vice dresse d'un monde politique gangrené par la gourmandise. Celle d'hommes qui grignotent les institutions pour ensuite se nourrir de leurs pourrissements, et finir par digérer leurs propres compatriotes. Patiemment. Un "loisir" comme un autre. Comme la pêche à la mouche par exemple. Cette activité où chaque mouvement se prépare méthodiquement avant de frapper. Est-il nécessaire de rappeler que Dick Cheney est un féru de ce sport?