Dead alert
Il fut un temps où l’on attendait le nouveau Pixar avec excitation : le studio était devenu le maître de l’imaginaire, ayant su conjuguer les innovations visuelles de l’animation 3D avec une folle...
le 24 juin 2024
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Pixar a tellement compris ce qui nous a plu dans le premier Vice-Versa qu'on croirait qu'ils ont fait une consultation citoyenne. Le concept est renforcé, étendu à de nouveaux personnages et de nouveaux objets abstraits pour une représentation expressive, limpide et drôle de la psychologie d'une jeune ado. Ce n'est pas un "film de prod" de ceux qui nous font ressentir la recette obligée. Si c'est le cas, la créativité l'a emporté. Dans Vice-Versa, ni remplissage, ni clins d'œil obligatoire. Alors qu'une scène sur les goûts culturels était un appel à se vautrer dans la référence, ils font le choix de ne pas citer d'œuvre précisément. La créativité l'a emporté car le défaut du film est plutôt d'avoir voulu placer bien trop de bonnes idées en si peu de temps. Comme si la commande pas passionnante de la suite s'était retrouvée bien trop inspirante. La faute à la puissance du concept.
Le film a aussi l'intelligence et la sympathie de s'adresser aux spectateurs du premier. Les thématiques sont volontairement difficiles d'accès pour des enfants de moins de 10 ans. Les gags, contrairement au 1, sont difficilement compréhensibles sans l'expérience des nouvelles émotions d'"adulte". La salle où j'étais en VO était bourrée à craquer de jeunes adultes et adultes, friands de cette dérision nostalgique des tourments de l'adolescence. La priorité a été mise sur la cohérence plutôt que la séduction de nouveaux publics.
Pour la critique basique, Riley reste lisse et conventionnelle, tout comme les enjeux de son histoire, très classe moyenne nord-américaine de base, et non "universels" comme le film pense le faire. Les personnages du "réel" le sont tout autant, on aurait aimé voir un peu plus les parents qui, dans leur banalité, ont mine de rien des personnalités assez marquées.
Mais ce n'est pas grave. Car plus cette narration est lisse, plus les personnages de l'intérieur, les émotions, auront de la force. Ce sont des stéréotypes aussi, mais ici totalement justifiés. C'est une des nombreuses forces du concept, ouvrir la porte à l'enfonçage de portes sur le caractère des personnages. Ainsi personne ne peut pas reprocher à Anxiété d'être un cliché de la personne anxieuse. On peut y aller et on s'éclate.
Les nuances se font dans les émotions transmises à nous. Ces stéréotypes/personnages/traits psychologiques dosent leurs interventions en fonction de nous spectateurs. Un peu d'humour, un peu de sérieux, un peu de gravité, mais aucun personnage ne sort de son rôle ni n'évolue (presque) car c'est à ça que ça sert Vice-Versa: un type de récit particulier dans lequel tous les personnages sans exception sont au service de l'évolution d'un seul. Ce qui est dommageable pour n'importe quel film d'aventure ne l'est pas pour Vice-Versa.
Mais le film a fait attention à son écriture en centrant le "passage à un autre âge" de Riley sur une courte période, faisant de chaque heure de la journée une épreuve dans l'épreuve. Le choix de l'épreuve est classique pour un "coming of age movie"; ici c'est la banalité de l'épreuve (je n'aurais pas mes copines au lycée) qui n'est pas banale. Souligner l'intensité émotionnelle de l'adolescence qui s'ouvre aux problèmes simples de la vie est à saluer, même si c'était déjà le propos du premier.
On a donc un condensé d'idées visuelles, de bonnes blagues, de gags très expressifs voire touchants, un propos clair joliment dit, des tensions, de vrais enjeux émotionnels tenus par des personnages allant à l'encontre de toutes les règles d'écriture : figés dans une seule caractéristique. Malgré quelques bouchages de trous (ajouter Anxiété dans la tête des parents), le film fait le taf.
Mais il y a un mais, c'est que sans Pete Docter aux commandes, on perd de la rigueur. Dans Vice-Versa, que ce soit dans les détails ou dans le rythme, tout est au diapason, une broderie à la David Fincher (influence revendiquée par Pixar). Ici, le trop-plein de supers idées n'a pas su se sacrifier à la rigueur. Ainsi on est un peu trop bavard là où certaines idées auraient pu se passer de paroles, comme cette forme représentant l'estime de soi qui se trouve affublée d'une réplique répétée des dizaines de fois alors que l'image était suffisamment expressive. Un manque de confiance dans le public. Ou la blague du "brainstorming", une tempête mentale, mot rigolo et image qui fonctionne mais qui sort de la pertinence psychologique qui faisait la force du 1. Pour rappel, l'écriture du premier Vice-Versa, c'est 4 ans de documentation sur la psychologie et des consultants tout au long de la production. Ici, on se permet des écarts, pour la blague, pour l'idée, au sacrifice de la rigueur du sens donné. À l'inverse, un coup de génie comme la scène de la "dictature de l'imaginaire" se retrouve condensé dans sa plus pure utilité alors qu'elle aurait pu être développée pendant 15 minutes sans ennuyer personne. Cela s'inscrit dans la démarche de l'humilité de l'imaginaire qui caractérise les meilleurs Pixar, et qui nous appelle à les revoir et les revoir.
Il y a un deuxième "mais" à propos de cette sacro-sainte universalité. Une classe moyenne blanche citadine, c'est peut-être majoritaire, mais ce n'est pas l'universalité. Ce n'est pas le sujet du film donc c'est pas grave. Mais alors que le film nous appelle assez subtilement à suivre les prochains de la série (pas de cliffhanger frustrant mais un élément reste clairement à développer), pourquoi pas, mais je ne suis pas sûr que la banalité du parcours de Riley m'intéresse longtemps. Le concept aurait une grande force et un grand intérêt s'il se mettait à l'intérieur d'une maladie mentale, d'une neuro-atypie ou simplement au sein d'une famille moins conventionnelle.
Pixar, depuis ses débuts, s'efforce de questionner la figure du héros en le forçant à la remise en question et à l'humilité. C'est brillamment fait au premier degré dans Buzz l'éclair, c'était déjà le cas pour Buzz dans le premier Toy Story; c'est le besoin d'héroïsme qui prend M. Indestructible au piège. Dans Là-Haut, le grand homme admiré s'avère être une ordure. Pixar, avec les atouts des meilleurs divertissement, nous apprend à nous méfier des figures de héros et de nous-mêmes, s'en prend ouvertement à la recherche de la performance, à l'esprit de compétition et à la vision occidentale de la "réussite". Pixar, c'est brillant. Et il y a de tout ça dans cette nouvelle épreuve de Riley.
Dans le premier Toy Story, Pixar nous faisait l'affront de nous faire visiter une famille de prolétaires avec Cid, l'enfant tortureur de jouets, dont on comprend, sans jamais l'expliciter, que le père est probablement pas gentil, peut-être alcoolique ou dépressif, peut-être violent, nous proposant alors d'avoir de l'empathie pour le "méchant" du fait de ces conditions de vie, de cette maison salle et de cette moquette au même motif que Shining.
Je veux un Vice-Versa 3 dans la tête de Cid. Car cet enfant, qui existe bien au-delà de son écriture de "méchant"; à 14 ans, est-il obsédé par cette nécessité d'être "une bonne personne" comme Riley ? C'est là la grosse limite du propos du film. Car même si Riley doit parvenir à dépasser cette nécessité qu'elle s'impose, le film part un peu du principe qu'on veut tous être une bonne personne. Mais le monde étant ce qu'il est, force est de constater que ce n'est pas le cas de tout le monde. Explorer les ressorts mentaux de celui qui veut "réussir envers et contre tout" au dépens de l'empathie et de bonnes relations sociales donnerait un sacré bon moteur à un Vice-Versa. Et ça serait du pur Pixar. Dans Soul (par le merveilleux Pete Docter), c'est "l'étincelle" qui serait propre à chacun et donc carrément l'idée de talent qui est mise à mal. Le personnage doit apprendre à désacraliser sa passion pour la musique. Ça, c'est peu conventionnel. En tout cas, pas très américain.
Par ailleurs, si l'épreuve banale qui est très intense est pertinente, rappelons que le premier Vice-Versa allait plus loin en explorant, à travers une épreuve banale de déménagement, la véritable dépression passagère d'une enfant.
En 2023, le film d'animation Le Royaume des abysses a eu une proposition très audacieuse en mettant en scène les rêves d'une petite fille dans une situation très difficile flirtant avec la mort. Une proposition risquée venue de Chine et pourtant parvenue jusqu'à nos salles de cinéma.
Rêvons donc d'un Vice-Versa 3 pour adulte dans un esprit torturé. Pixar a le concept et l'intelligence disponible pour le faire.
Créée
le 21 juin 2024
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