Dans le septième art, le plan-séquence met à l’épreuve le talent des acteurs, la minutie des techniciens, la créativité du réalisateur et de ses assistants… ainsi que la synchronisation de tout ce beau monde. Représentant un tour de force technique, ce type de plan fait souvent office de money shot dans le divertissement hollywoodien, investissement nécessaire à la réussite financière de ce dernier. C’est pourquoi il va de pair avec le numérique permettant divers trucages (raccords, recadrages…), comme dans l’Irréversible de Noé et le Birdman d’Iñárritu (déjà critiqué ici).
Cependant, la tradition du film en plan-séquence ne date pas d’hier puisqu’en 1948 Hitchock tournait déjà La Corde, huis-clos donnant l’impression d’un unique plan-séquence, pour accentuer la proximité avec le théâtre. Pour des restrictions inhérentes au matériel de l’époque (caméras, pellicule…), le maître du suspense n’a pas pu effectuer un montage sans coupes mais telle était bien son ambition.
Comme L’Arche russe (par Alexandre Sokourov) avant lui, Victoria de Sebastian Schipper s’impose car il a pour lui d’être un véritable plan-séquence de 140 minutes, sans artifice aucun. Stupéfiant, n’est-ce pas ?
Mais au-delà de l’aspect technique, que vaut vraiment Victoria ?
Nuit berlinoise
Victoria, jeune et jolie jeune femme espagnole interprétée par Laia Costa, est venue s’installer à Berlin pour y ouvrir un café. Passionnée de musique, elle s’entraîne au piano le jour et fréquente une discothèque, à la nuit tombée, spécialement construite en sous-sol pour le film.
Au dehors, sur les coups de 4 heures du matin, un quatuor berlinois ère sans but, parlant fort et buvant de l’alcool. Par un concours de circonstances, Sonne (Frederick Lau), Boxer (Franz Rogowski), Blinker (Burak Yigit) et Fuss (Max Mauff) vont être amenés à rencontrer Victoria qui va prendre la décision de les accompagner à travers la nuit. S’ensuit une promenade nocturne, donc, filmée de manière sobre et fluide, quoique trahissant à quelques moments la présence du cadreur par tout un tas de tremblements (d’autant qu’aucun recadrage ne semble avoir été effectué) mais rien d’alarmant.
Schipper a ponctué son œuvre de mélodies éthérées et lancinantes pour souligner, ou plutôt surligner, l’intensité émotionnelle de certaines séquences. N’ayant eu aucune relation jusque-là, Victoria semble ravie de faire la connaissance de jeunes Berlinois. En un sens, un nouveau monde s’offre à elle. Nouveau monde qui ne tardera pas à basculer dans une noirceur plus prononcée. Vous l’aurez compris : le métrage dépeint une descente aux enfers, un thème qui m’est très cher.
Aussi, la volonté de faire de Victoria une œuvre très réaliste émane de chacun de ses pixels : les acteurs improvisent très souvent, la mise en scène est sans fioritures et l’action demeure crédible autant que vraisemblable… Toutefois, jamais le cinéma n’a prétendu filmer le réel. Et ça ne risque pas de se produire. Outre l’outil numérique, pouvant à lui seul étayer mes propos, rien que le choix d’un sujet et d’un angle pour aborder ce sujet trahissent la fiction – ceci étant également valable pour les documentaires.
Esbroufe
Pour illustrer une situation qui dégénère, enchaîner des événements de plus en plus tragiques sans aucune sensation de rupture, le plan-séquence est l’outil idéal. Et, d’une application redoutable, celui de Victoria fonctionne très bien. Cependant, et c’est là le premier reproche que je ferai au film, il est dommage que son intrigue s’aventure dans le thriller, avec ce que le genre comporte de clichés : des méchants en costumes, une dette à payer, de la drogue, un braquage, une course-poursuite avec les forces de l’ordre, etc.
Si je reconnais le cinéma comme étant un art principalement visuel, force est d’admettre que l’aspect narratif de ce dernier s’avère primordial. De tous temps, le cinéma (et l’audiovisuel, plus généralement) a essayé de faire passer des messages à travers l’image ; « voir, c’est comprendre », disait Paul Eluard. Ce procédé a un nom : la narration visuelle.
Dans Victoria, que faut-il comprendre ? Quid du message véhiculé ?
À mon sens, il s’agit d’une possible invitation à l’aventure qui vire tout simplement au cauchemar par la faute d’une héroïne quelque peu naïve. L’expérience tend à explorer l’au-delà d’un voyage, ses drames, ses embûches ; au vu de la masse de films, partant de ce même postulat, qui terminent là où ils devraient commencer, ce peut être légitimement porté à son crédit. Mais le tout est creux, soporifique, dénué d’intérêt si ce n’est d’illustrer une énième fois la pente du crime, le sol qui se dérobe sous les pieds des honnêtes gens.
Toujours est-il que je n’admets pas la manière dont Victoria se retrouve de l’autre côté de la loi. Sachant ce qu’elle risque, pourquoi accepte-t-elle d’aider le quatuor ? Par amitié ? Cela fait seulement vingt minutes qu’elle côtoie ces jeunes gens ! Bien sûr, l’erreur est humaine. Mais j’ai besoin de croire un minimum à ce que je regarde pour me projeter au-delà de l’écran.
C’est d’ailleurs pour ces mêmes raisons que je déteste les romances filmiques : elles forcent toujours les protagonistes à perpétrer des actions insensées qui me font systématiquement sortir des films. Par chance, la romance entre Victoria et Sonne reste secondaire, se contentant d’ajouter du caractère aux personnages.
Finalement, Victoria consiste en un défi technique réussi, offrant des performances bluffantes en terme de réalisation. Dommage que ce soit au détriment d’une audace scénaristique très attendue sur un film de ce genre. Dans l’imaginaire collectif, Birdman restera donc la référence plan-séquentielle de 2015. Mais cette année, je suis sûr que d’autres œuvres utiliseront cet outil, comme Maintenant de Michael Castellanet, pour servir une histoire plus profonde et plus belle.
Bref. Rendez-vous au cinéma pour vous faire votre propre avis sur Victoria et, surtout, n’hésitez pas à le partager avec moi dans les commentaires. Ils sont faits pour ça.
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