Le portail est entrouvert, signe de l’invitation qui nous est faite. Et pourtant, on n’entre pas dans un film de Manoel de Oliveira comme cela, on reste d’abord sur le seuil, poliment, avant de franchir, en même temps que la porte, trente-quatre années d’un coup. En exigeant que le film - tourné en 1982 - ne soit projeté qu’après sa mort, survenue l’année dernière, le cinéaste portugais fait de Visite ou Mémoires et Confessions son film testamentaire, confiant au spectateur son legs le plus précieux : une maison habitée quarante ans et sur le point d’être perdue.


Un couple d’amis visite la maison, n’y trouve personne, en cherche le mystère par déambulation, dans des travellings inquisiteurs. Le cinéaste et sa femme ne sont plus là : la demeure témoigne tout autant de leur présence que de leur disparition, cette visite transformant l’habitation en panorama mémoriel, faisant de chaque pièce et de chaque objet le phénomène tangible d’un spectre invisible. Première leçon de Oliveira : au cinéma, une maison est toujours hantée. S’en dégage un drôle d’autoportrait-mosaïque comme celui que s’était constitué Frederik Wiseman à travers National Gallery.


Et puis, entre deux plans de l’absence, Oliveira se matérialise au regard. Face caméra, ingénu et malicieux, à hauteur de spectateur, il évoque d’abord les maisons qui l’ont vu grandir et vivre, projections de super 8 à l’appui. Il n’est d’ailleurs jamais question de la propriété, d'une occupation purement bourgeoise, mais d’un bail éternel qui voit les maisons habiter Oliveira et meubler son esprit de souvenirs. Il parle aussi des femmes, de sa femme - à laquelle il consacre une séquence et le film tout entier – de son rapport à l’Histoire, de la pureté et de la croyance.
Pureté et croyance, s’il ne doit rester que cela, ce sera toujours du cinéma : pureté de l’image scellée depuis 1982, croyance absolue dans la pellicule. Avec elle, il se propose, modestement, de défier la mort et, geste peut-être plus courageux encore, d’offrir son intimité, le temps d’une visite, avant de s’éclipser et de fermer la porte d’occident. Après Chantal Akerman et son No Home Movie, c’est un autre immense cinéaste qui tire sa révérence avec son film le plus intime et le plus émouvant.


Pour se réconforter, reste au spectateur orphelin, déchiré entre saudade et saut dans l'avenir, de se laisser bercer par le sourire omniprésent de Mona Lisa (qui concluait déjà de sa fronde le fabuleux Mon Cas) et de trouver dans le sfumato les origines du flou cinématographique, cette promesse de tous les mystères.

Corentin_D
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le 18 avr. 2016

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