OZU analyse la difficulté des relations familiales sur trois générations dans le Japon des années 1950. Le point de vue principal est celui d`un couple de retraités. Ils se réjouissent de venir à Tokyo renouer avec leurs enfants, mais le séjour idyllique, rêvé en province, se délite de déception en déception...
Koichi leur fils pédiatre manque de temps, ne peut s'occuper d'eux. Leur fille Shige, coiffeuse au cœur sec, cache mal sous ses sourires de façade son exaspération. A Tokyo, les adultes, polarisés par leur travail, manquent de place chez eux et de temps à consacrer aux vieux. Comble de malchance, tous luttent à coups d'éventails contre la canicule... Shige se débarrasse de ses parents en leur offrant une cure thermale avec l'aide financière de Koichi.
Livrés à eux-mêmes en cure, nos âmes errantes vivent des heures pénibles. Leur voyage rompt leurs habitudes. Libérés de l'esclavage du travail, ils méditent sur leurs relations avec leurs enfants... Et ils reviennent dare-dare à Tokyo au salon de coiffure, où Shige les renie devant sa clientèle ("Ce sont des relations de la campagne"). "Nous sommes devenus des sans-abris..." constate le grand-père...
Heureusement, leur belle-fille Noriko les aide malgré son appartement exigu de veuve. Elle leur offre une visite touristique de Tokyo et elle héberge la grand-mère, angoissée par leur situation précaire. Le même soir, le grand-père retrouve deux amis dans un bar. Le saké délie les langues sur le manque d'ambition des enfants et le trio s'enivre méthodiquement. L'un a perdu ses deux garçons à la guerre. Mais ce drame est-il pire que d'avoir des enfants indifférents, de quasi étrangers ?
OZU est volontiers satirique envers la génération des petits-enfants. La femme de Koichi peine à éduquer deux garnements capricieux, voire rebelles et égoïstes. Leur impolitesse envers les grands-parents provoque un rire gêné... Le cinéaste dépeint également l'égoïsme des garçons dans "Bonjour" ou "Gosses de Tokyo". Curieusement, dans les cinq films que je connais de lui, nulle trace de fillettes...
J'aime que le voyage de nos héros dérive au gré de foyers d'emprunt en odyssée existentielle. L'ingratitude des enfants leur rappelle cruellement qu'ils sont à la fin du cycle de la vie. "Nos enfants étaient plus gentils autrefois", regrette la grand-mère. Le retour en train s'apparente à une fuite, loin de relations humaines décevantes : "Tu as plus fait pour nous que nos propres enfants. Merci !" reconnait le grand-père face à sa bru Noriko. Pour nos embarqués involontaires, le temps - dépouillé de l'habitude et des divertissements - est mis à nu. Qu'est-ce que la vie humaine ? Un aller simple, qui scande son compte à rebours d'un tic-tac imperceptible.