La Chronique Mécanique de WHITE BIRD
Ha, l'adolescence ! Drôle de période, n'est-ce pas ? Mais si, rappelez-vous : les poils qui poussent, la voix qui mue, le corps qui change, tout ça... On est comme bloqués entre deux âges, plus tout à fait un enfant, pas encore un adulte... C'est un moment de changement, de transition, et donc de doutes et de peurs pas toujours faciles à gérer où tout semble continuellement en suspens. Difficle alors d'être serein et de ne pas se perdre dans une certaine errance. Au cours d'une filmographie de qualité ("Totally Fucked Up", "Kaboom", "The Doom Generation"), Gregg Araki a en souvent fait un de ses thèmes de prédilection. Pas étonnant de le voir s'y attaquer de nouveau ici pour ce qui est son onzième long-métrage. Loin de mettre en scène de légers teen-movies à la sauce "American Pie", celui-ci aime sonder les tréfonds de cet entre-deux âges si particulier en s'intéressant de très près au corps, à la perte de l'innocence, et aussi à celles et ceux qui évoluent en marge. De ce fait, dans "White Bird", la jolie et très authentique Shailene Woodley (vue dans "The Descendants") campe l'oiseau blanc pris dans une tempête sans s'en rendre totalement compte, une ado rebelle et intelligente dont les meilleurs amis ne sont pas les stars du lycée mais un gringalet homo et une afro-américaine tellement obèse qu'elle rassurera votre copine sur ses kilos en trop. Lorsque sa mère, incarnée par la sculpturale française Eva Green (décidément encore elle après "Sin City 2"), se volatilise, toute sa vie prend alors un autre tournant, même si elle refuse de l'admettre réellement. La perte subite du référent sexuel symbolise ici l'élément perturbateur qui va tout précipiter, tout bouleverser.
Pas uniquement centrer sur les ados, Araki en profite pour également explorer le spleen des adultes via le portrait de cette femme splendide et pleine d'ambition, devenue malgré elle mère au foyer. En cause, le poids conventions sociétales. Subir sa vie au lieu de la vivre en quelque sorte. Le cinéaste y égratigne au passage le rêve américain, vision superficielle du bonheur, et s'amuse à gratter la belle couche de vernis de la famille américaine typique pour en dévoiler les pires dysfonctionnements. Loin de l'hystérie et de la frénésie de beaucoup de ses œuvres - notamment des premières, souvent trashs et pops -, il nous offre un long-métrage épuré et maîtrisé de bout en bout, dans la lignée de son chef-d’œuvre "Mysterious Skin". Dans son style, "White Bird" parle lui aussi de vérités inavouables et de lourds secrets sur lesquels les héros doivent ouvrir les yeux pour réussir à accepter et à avancer.
Il s'agit là d'un très beau drame au romantisme assumé, une chronique douce-amère bercée par un certain onirisme, à la narration totalement éclatée (le film étant intelligemment construit en flashbacks). C'est aussi souvent juste et touchant, et surtout parfaitement filmé. Oui, Araki fait sans cesse contraster ses cadres très sobres et son éclairage très propre et lumineux avec la sombre vérité qui se cache derrière son histoire. Et pour ne rien gâcher, les seconds rôles, Christopher Meloni en tête, sont tout simplement parfaits. Ce drame introspectif doublé d'un thriller s'affirme d'emblée comme une des réussites de la rentrée. Et comme un nouveau grand coup pour Araki, cinéaste qui ne cesse de murir et de s'affirmer d’œuvre en œuvre comme incontournable.
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