Cela faisait longtemps que cette œuvre était dans ma pile de "films à voir", y semblant devoir y prendre éternellement la poussière de la procrastination. Cela en dépit du fait qu'il soit dans mon édition 2006 des 1001 films à voir avant de mourir et que l'excellente chaîne YouTube Le ciné-club de M. Bobine y a consacré une de ses vidéos. C'est la critique d'un de mes estimés éclaireurs qui m'a poussé à me dire "arrête de procrastiner, branleur, et visionne ce put*** de film !". Bon, assez de raconter ma vie pas franchement passionnante des masses et passons à Withnail and I.
Que se cache-t-il derrière ce titre, annonçant un long-métrage avec deux personnages principaux, dont les relations sont vues à travers les yeux d'un de ces derniers ?
Pour commencer, il convient de signaler que c'est le premier passage derrière la caméra de Bruce Robinson. Qui est ce Bruce Robinson me demanderez-vous ? D'abord, il a été un acteur ayant incarné quelques seconds rôles, parfois pour des cinéastes réputés comme Franco Zeffirelli, Ken Russell et même François Truffaut (oui, il a joué l'objet de la flamme, non partagée, du rôle-titre, à qui Isabelle Adjani a donné ses traits et son intensité, dans L'Histoire d'Adèle H. !), avant de constater que sa carrière devant la caméra ne décollait pas vraiment. Donc, il s'était rabattu, avec succès, sur l'écriture avec le scénario de La Déchirure. Ce qui lui valu de gagner un BAFTA et une nomination à l'Oscar. Après cela, il a eu l'occasion de réaliser lui-même le film critiqué ici, partiellement autobiographique.
Withnail and I nous fait entrer dans les existences de deux comédiens colocataires au chômage, en 1969, à Londres, les esprits détraqués par la pauvreté, la faim, le froid, l'alcool et la drogue ainsi que de celle de leur évier, dont la saleté effroyable m'a vite fait relativiser mes sentiments de honte lorsque je laisse passer une journée sans faire ma vaisselle parce que j'ai trop la flemme. Ils se décident à aller se mettre au vert en se réfugiant dans la maison de campagne du tonton de Withnail...
Alors, parmi nos deux corniauds, on a "I", dont on suit le point de vue, relativement posé et raisonnable (enfin... surtout en comparaison des tarés qu'il côtoie !). Et l'on a... devinez... Withnail qui, en plus d'être alcoolique et toxicomane, est égoïste, mythomane, trouillard, orgueilleux (ce qui le pousse, contre son propre intérêt, à refuser le peu de propositions professionnelles qu'il reçoit, car les jugeant indignes de lui !) et possède de forts penchants nihilistes ainsi qu'autodestructeurs. Ils sont amenés à croiser des campagnards, aux caractères tout aussi étranges que le leur, ainsi que l'oncle obèse dégénéré de Withnail qui fait des avances, pas du tout désirées, à "I", aussi subtiles que celles d'un mec en fin de soirée n'ayant pas bu que de l'Orangina (il est à noter, pour l'anecdote, que Robinson s'était inspiré en partie du comportement de Zeffirelli à son égard pour créer cette personne guère agréable à fréquenter !).
Autant le dire tout de suite, ce n'est pas dans une intrigue, somme toute sommaire, pouvant se faire se résumer en quelques lignes, ni dans une réalisation se contentant de filmer (même s'il faut souligner que la photographie, les costumes, les décors et les accessoires, avec leurs couleurs ternes, participent à l'atmosphère !), que se trouve le sel de l'ensemble, mais dans son étude de caractères, située dans une époque sur laquelle Robinson pose un regard sans aucune complaisance, située dans une réalité tellement morne que l'on préfère en rire (du moins intérieurement !). Et c'est réussi. Les personnages sont véritablement hauts en couleur, véritablement surprenants (comment oublier ce fermier avec une jambe blessée enroulée dans du plastique ou ce braconnier qui transporte des anguilles dans son pantalon !), qu'ils en deviennent fascinants, à un point que, malgré leurs défauts, j'ai fini par m'y attacher, y compris à l'agaçant et à l'inconséquent Withnail. Je n'ai pas pu m'empêcher de ressentir de la pitié pour lui à la fin, en le voyant destiné à rester pour toujours le pauvre type qu'il est, incapable d'évoluer (il n'y a aucune surprise de ce côté-là quand on est cohérent avec la psychologie humaine, donc je ne divulgâche pas !). Ah oui, à un moment donné, pourquoi le tonton dit aux deux autres cocos qu'ils sont mal rasés alors qu'ils sont rasés ?
Et, au service de cette étude de caractères, élément évident et essentiel sans lequel le résultat aurait été un échec, tous les comédiens sont formidables. Le grand talent de Robinson ici, c'est d'avoir su choisir et diriger à la perfection sa distribution.
Cette œuvre, méconnue dans nos contrées hexagonales, est culte de l'autre côté de la Manche. C'est le sommet incontestable de la carrière de Bruce Robinson qui ne retrouvera pas, malheureusement, cette aura par la suite. Mais Withnail and I suffit à lui seul à donner une raison d'être à son destin artistique.