On est dans une communauté rurale religieuse, au fin fond de quelque part, bien isolé du commun des mortels, vivant comme au XIXe siècle. Une charmante communauté dans laquelle les hommes violent les femmes en les endormant avec du tranquillisant pour vaches. Une charmante communauté dans laquelle on prend bien garde de ne pas enseigner aux femmes à lire et à écrire pour qu'elle soit encore plus enfermée, par l'ignorance. Bref, un des violeurs est attrapé la main dans le sac, dénonce ses petits camarades, qui sont arrêtés avec lui. Pendant que les hommes partent en ville pour payer les cautions, les femmes ont 48 heures pour décider si elles doivent rester et se battre ou partir. N'arrivant pas à se décider sur la base d'un vote trop serré, une poignée d'entre elles est chargée de décider du sort de tout le monde. Les débats sont consignés par l'instituteur des lieux, seule présence masculine adulte, pour cause de l'analphabétisme des principales concernées...
C'est l'adaptation d'un roman que je n'ai pas lu, donc je ne sais pas si celui-ci contient les qualités et les défauts du film. C'est inspiré de faits horribles, s'étant déroulés dans un groupe de mennonites en Bolivie. Si, par de nombreux indices plus ou moins explicites, il ne fait aucun doute que l'action du film se déroule lors de notre époque ; par contre, il n'y a aucune indication géographique, comme pour signaler l'universalisme du message que porte l'ensemble, pour renforcer l'aspect allégorique, pour souligner que les actes dénoncés ici, par les protagonistes dans une grange, pourraient arriver n'importe où.
Excepté le personnage de l'instituteur, incarné par Ben Whishaw, les présences adultes masculines sont réduites à quelques silhouettes lointaines, peu et brièvement visibles. Les représentantes du soi-disant "sexe faible" sont le centre et l'âme de ce long-métrage féministe. Elles ont inévitablement des points de vue ainsi que des personnalités différentes.
En ce qui concerne la distribution, si Frances McDormand, par son temps extrêmement réduit de présence à l'écran, donne l'impression d'être juste là pour ajouter un nom connu supplémentaire sur l'affiche, Rooney Mara, symbolisant une force tranquille, et Claire Foy, incarnant une rage ne demandant qu'à exploser, se distinguent particulièrement, non seulement par leur talent, mais aussi par leur charisme.
Pour ce qui est du visuel, la réalisatrice Sarah Polley a justifié l'emploi d'une photographie en couleurs bien terne, bien grisâtre, s'approchant du noir et blanc, pour mettre en lumière le sentiment d'un monde qui s'est effacé dans le passé. Mouais... euh, non seulement, ça appuie trop peu subtilement le marasme ambiant (alors que, dans cette optique, ce qui est transmis par le verbe, par les performances d'actrices et par quelques images choquantes, comme des ecchymoses sur des cuisses ou un visage battu, suffisait largement pour que l'on comprenne !), mais en plus, ça dénie partiellement le message porté par Women Talking. Ben non, justement, ce n'est pas un monde qui s'est effacé dans le passé (certes, il le devrait !) et c'est bien ça le problème.
Et Polley croit bon, en plus, de devoir illustrer, par des intermèdes extérieurs, ce qu'est le bonheur, avec des gosses joyeux et rieurs, jouant dans des champs ensoleillés (ayant pour fonction bien ostensible, évidemment, de contraster avec le grisâtre des autres séquences !), porté par un ton nébuleux se voulant mallickien, mais qui est plus proche d'une image d'Épinal de la campagne que d'un tableau agreste réaliste. Ben oui, Mallick, dans une œuvre comme Les Moissons du ciel, montre la beauté de la campagne, sans pour autant plonger dans la caricature.
Heureusement, outre les interprétations, que la qualité du tout est relevée par des échanges pertinents, donnant des arguments valables, aussi bien pour justifier le fait de rester et de se battre que pour justifier celui de partir. Et aussi par les dernières minutes qui parviennent à être émouvantes, sans en faire trop, sans sortir l'armada de violons.
C'est vraiment regrettable que le résultat ne soit pas à la hauteur de ses quelques qualités, de ses bonnes intentions et de la puissance du message qu'il veut porter.