Dupieux facile (…mais Dupieux malgré tout)

Ralalah… Je suis partagé, voyez-vous.
Il y a dans ce film quelque chose qui relèverait presque du « fait sur un coup de tête ». Un truc du genre : « bon allez, juste pour déconner. Après tout, ça ne mange pas de pain… ». Ce genre de facilité qu’un gars comme Quentin Dupieux peut désormais se permettre au regard de sa nouvelle assise au sein du cinéma français.
…Et ça en ferait presque sa force, à ce Yannick.


Parce qu’on le sent bien que tout ce film part presque d’une simple blague potache ; d’une idée amusante germée vite fait entre la poire et le fromage. « Tiens, et si un mec osait interrompre un de ces vieux vaudevilles formatés qu’on joue de nos jours au théâtre, est-ce que ce ne serait pas au fond un meilleur spectacle que de laisser ces cons dérouler leur merde jusqu’au bout ? » A presque se demander d’ailleurs si Dupieux n’a pas eu cette idée en assistant lui-même à ce genre de pièce.
On sent l’envie de casser la bienséance, les conventions, l’hypocrisie ambiante de ce qu’est devenu un certain théâtre de boulevard ou plutôt, à travers lui, un certain cinéma. Et comme Quentin Dupieux manie désormais avec excellence l’art de l’irrévérence, il parvient à dérouler assez facilement une situation qui reste toujours sur le fil de l’ambiguïté, entre burlesque et pathétique, entre moquerie acide et farce bon-enfant.


D’un côté le personnage de Yannick est l’évident bouffon. Mais de l’autre il ne cesse, par ses remarques bonhommes, de gratter le verni.
De prime abord c’est lui qui n’est pas à sa place. Il réclame un art distrayant et débonnaire qu’il n’est manifestement pas venu chercher au bon endroit.
Pourtant il est dans un de ces théâtres parisiens dont l’histoire était d’abord celle de spectacles populaires, vivants et triviaux. De là, ce n’est pas Yannick qui n’est pas à sa place. Ce sont tous les autres qui ne le sont pas ; tous ces autres qui ont envahi le théâtre populaire pour en faire quelque chose qu’il n’est plus. Le vaudeville est resté certes, mais la bonne blagouille premier degré s’est par contre effacée au profit des états d’âmes de bourgeois en mal de vivre.
Au fond « tout est subjectif », comme le dit le personnage éponyme. D’un certain point de vue, c’est Yannick le fou, de l’autre c’est tout ce théâtre bourgeois – comédiens comme public – qui l’est du simple fait d’entretenir encore cette société faite de sexualité exclusive sur PC, de gosses sous tranxen, de vies passées dans des petits 20m2 avec un seul chat en guise de compagnon… Ou bien tout simplement de vaudevilles totalement évidés de cette potacherie populaire qui en faisait pourtant le seul intérêt.


On sent que Dupieux n’a pas eu à se forcer pour écrire son film. Yannick c’est lui. Cette salle c’est tout ce microcosme parisien qu'il a côtoyé de près et qui ne l'a jamais accepté. Et ce film, c’est toute la rancœur dont il a envie de témoigner, non sans une légère ambivalence d’amour/haine et de syndrome de l’imposteur.
De là les salves s’enchainent facilement. On sent que ça a été écrit sans forcer. Ça donne à ce film la fraicheur des œuvres directes qui ne s’embarrassent pas du superflu.
Grande force d’ailleurs de ce film – et preuve de la lucidité (et du pouvoir acquis par son auteur l’air de rien) – Yannick ne dure qu’une grosse heure.
Ça évite au film de trop se perdre. Ça lui permet de garder sa substance. Une idée qui gagnerait à se répandre, surtout si les salles prennent la peine à l’avenir d’adapter leur prix à la baisse pour ce genre de format.
(Bon après je dis ça, je ne dis rien. A bon entendeur…)


Donc oui, vous l’avez compris, ce Yannick m’a globalement plu, même si ça ne retire rien à ce que je disais en introduction de ce billet : je reste malgré tout partagé.
C’est que le caractère brut et direct a aussi ses mauvais à-côtés.
Déjà je ne peux m’empêcher de me dire que, s’il y avait passé un peu plus de temps, peut-être que Quentin Dupieux aurait pu peaufiner ses mots, ses saillies, ses situations.
Même si globalement l’exercice tient la route et se montre efficace, j’ai régulièrement senti dans l’écriture un côté gros-œuvre. Alors certes, son écriture se rapproche du potache que réclame littéralement Dupieux dans son film, mais avec davantage de subtilité voire de rigueur sur certains points, le film aurait encore davantage gagné en percussion.


Je trouve par exemple quand même bien dommage que l’intrigue s’arrange trop facilement avec la logique : les spectateurs sont quand même bien dociles, le script de Yannick bien long au regard de sa vitesse d’écriture, et la police bien lente à intervenir. Et même si je vois bien les bénéfices que tire le film à prendre ces facilités, je trouve en contrepartie que ça le conduit à sacrifier un peu trop facilement une ambiguïté entre farce et comédie noire qui aurait pu clairement lui donner davantage d’impact.
Idem, au niveau de l’écriture, ça manque parfois de subtilité. Je trouve par exemple que la grossièreté dont Paul fait preuve à l’encontre de Yannick aurait été encore plus dérangeante si elle s’était davantage rapprochée de cette violence maquillée de fausse politesse très passive agressive et qui est propre à cette bourgeoisie qu’entend écorner Dupieux. Même chose quand les acteurs prennent la peine de se moquer des répliques de Yannick. C’est trop brut. Pas assez recherché. Il aurait fallu qu’il y ait du vrai mauvais esprit pour retranscrire là-encore le mépris de classe sous prétexte d’humour. Enfin, je pense vraiment qu’il n’y avait pas besoin d’insister et de verbaliser les erreurs d’écriture de Yannick. On avait vu. On avait compris. Ça fait presque retomber le gag.



Dans un premier temps, j’étais parti pour conclure sur cette précipitation dommageable.
Je comptais rappeler qu’en ce moment, Quentin Dupieux multiplie les films comme les pains, et qu’à hauteur de deux longs-métrages par an (!), il ne fallait pas s’étonner que la quantité finisse par impacter la qualité, et que c’était triste au regard d’œuvre comme celle-ci qui, si elle avait été davantage peaufinée, aurait pu devenir un véritable bijou de comédie noire.
Mais l’exercice critique a ceci d’intéressant qu’en cherchant à poser des mots sur mon ressenti à l’égard de ce Yannick, je me rends compte que le problème est peut-être tout simplement ailleurs.


Je pense qu’il y a un véritable blocage psychologique chez Quentin Dupieux. L’absurde et le potache restent ses sanctuaires. Ça lui permet de rester en marge et d’échapper à la cruauté d’un milieu qu’il ne connait que trop bien pour l’avoir côtoyé depuis l’enfance mais sans en faire partie (pour l’anecdote, son père étant le mécanicien de Coluche).
Or j’ai l’impression que, dans ce film comme dans les précédents, Dupieux n’a pas voulu sortir du potache. Il n’a pas voulu quitter son monde pour rentrer dans le leur. Et c’est dommage car, ainsi faisant, je trouve qu’il se ferme des voies, et notamment une marge de progression.


Du coup jusqu’au bout, avec ce Yannick je resterai partagé.
Partagé du fait que d’un côté, je ne peux que me réjouir de constater que, malgré sa prolixité, Dupieux continue de me parler…
…Mais en même temps inquiet qu’un auteur qui ponde deux films par an semble de plus en plus s’enfermer.
Aussi vais-je une fois de plus me rassurer en me disant que, jusqu’ici, ça va.
Attendons le prochain épisode pour savoir ce qu’il en sera.
Mais l’air de rien le prochain épisode c’est déjà dans trois mois.
Et ça, c’est le genre d'information qui ne me rassure pas.

lhomme-grenouille
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le 3 août 2023

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