Antonioni : antonyme de la monotonie au Cinéma.
Le réalisateur italien entame Zabriskie point quelques années après le fantasmagorique et excellent Blow-Up, en poursuivant son entreprise d’analyse acerbe et singulière de l’évolution des mœurs de la société des années 1960. Après avoir assisté à un débat entre étudiants sur fond de revendications, de racisme et de conflits sociaux, Michelangelo nous fait quitter ce grouillement d’idées anticonformistes et de contestations en débutant véritablement son road movie par la phrase de Mark - quittant l’assemblée en avouant être prêt à mourir pour la révolution, mais pas mourir d’ennui, slogan ingénu quoiqu’au service d’une échappatoire à l’asphyxie sociétale. Antonioni alterne alors les scènes vives/bruyantes et les plans lents, fixes et silencieux. Ce foisonnement de contrastes visuels et sonores renvoie implicitement aux contradictions d’une société conservatrice et capitaliste, chahutée mais non bouleversée par les mouvances idéologiques et révolutionnaires. Le consumérisme est omniprésent : panneaux publicitaires, enseignes, logos étouffent l’image, complètement aérée ensuite par un paysage lunaire, vierge et émancipé de toute servitude : Mark et Radia se retrouvent au Zabriskie Point, désert de sable édifié en lieu d’affranchissement d’une jeunesse en quête de libertés politiques et sexuelles. Les plans panoramiques s’illustrent avec somptuosité, accompagnés par quelques airs planants et psychédéliques de Pink Floyd (dont le superbe Come in Number 51, Your Time Is Up).
Zabriskie Point est un point de repère. Il incarne pour certains un chemin irréversible vers de nouvelles libertés, Radia imaginant un renversement du schéma matérialiste qui prévalait par une explosion à travers une scène fantasmatique et avant-gardiste pour l’époque. Une route qui ouvre en somme sur de nouvelles perspectives. Pour d’autres, ce lieu est un point de non-retour, une parenthèse enchantée aboutissant à une fatalité (Mark) : la société reste figée malgré des aspirations nouvelles, délivrant un discours alors pessimiste vis-à-vis de l’impact des mouvements progressistes. L’exemple des bavures policières, dans une scène où un policier abat froidement un étudiant dans l’indifférence générale, fait écho à cette passivité face aux fléaux. Force est de reconnaître qu’un demi-siècle plus tard, ils divisent encore la société américaine avec en toile de fond les instabilités communautaires. Zabriskie Point se veut finalement être le berceau du renouveau, de l'amour, le point d'orgue d'un idéal.
Rarement une œuvre, sans véritable histoire ni complexité narrative, m’a semblé aussi féconde et subjuguante. En plus d’incarner à la fois un hymne émancipateur et désenchanté de la contre-culture américaine, elle délivre des codes esthétiques et techniques largement repris depuis dans le cinéma contemporain. L’image contemplative et silencieuse fait par exemple penser à la patte de Gus Van Sant. L’envolée d’un amas de vêtements multicolores dans le ciel sur fond de musique hypnotique inspira sans nul doute Dolan dans Laurence Anyways ; ou encore l’utilisation stylisée et répétée de scènes en slow-motion ne nous étonne plus tant le procédé est devenu coutume.
Quoiqu’en disent les sceptiques à propos de la naïveté, la partialité voire l’antiaméricanisme de Zabriskie Point, Antionioni aura assurément guidé ici le cinéma vers des contrées inexplorées, avec au loin, à l'horizon, un point de repère de ce que sera par la suite le Nouvel Hollywood.