Quatre ans… il aura fallu quatre ans pour voir enfin ce qui aujourd’hui n’est plus un bruit de couloir au sein des studios Warner : la director’s cut du Justice League de Zack Snyder.
Souvenez-vous. En 2017 sortait Justice League, un film réunissant l’équipe éponyme, avec entre autres Batman, Superman et Wonder Woman unis pour sauver la planète. Dans le film, c’est mission accomplie. Au box-office, c’est beaucoup moins glorieux : Justice League représente un échec industriel pour la Warner, malgré ses 655 millions de dollars au box-office mondial. Pour un film souhaitant concurrencer directement l’univers Marvel, qui dépassait déjà la barre du milliard de dollars avec la plupart de ses films, c’est tout simplement raté. Et pour cause : c’est un film malade, tiraillé entre la vision d’un auteur (Zack Snyder), forcé de quitter le tournage à la suite d’un dramatique évènement familial, et celle de son remplaçant (Joss Whedon), censé remplir le cahier des charges « marvelisé » du studio. Charcuté dans son scénario et son montage, le Justice League sorti au cinéma était tout sauf le premier chapitre d’une trilogie prometteuse et encore moins un film de Zack Snyder.
Le 20 mars 2021 est donc sortie cette fameuse Snyder Cut, un mastodonte de quatre heure qui pousse tous les cureurs à fond pour rendre hystérique n’importe quel fan déçu par le premier montage qui, avouons-le, était tout simplement oubliable. Zack Snyder est enfin de retour avec sa vision du film, paré à enterrer définitivement la version de Whedon.
Alors, qu’en est-il de cette Snyder Cut ? C’est ce que nous allons voir.
Sauver la planète, encore…
Depuis la mort de Superman, le « Dieu parmi les Hommes », la planète est grandement menacée par Darkseid, un envahisseur venu de l’espace. Cela inquiète un Batman impuissant qui va tout faire pour rassembler une équipe de méta-humains afin de défendre la Terre. On y retrouve ainsi Wonder Woman, Aquaman, Flash et le mystérieux Cyborg.
Le montage de Whedon (que l’on appellera Whedon Cut) expédiait son récit en deux heures, ce qui est très (trop) court pour tout ce qu’il y a à raconter quand on adapte un tel arc narratif comme celui de Darkseid. Sauf que le Snyder Cut, il dure quatre heures : le réalisateur prend vraiment son temps pour nourrir son récit de scènes coupées du montage original, qui apportent davantage de cohérence dans le déroulement de l’histoire. Le build-up fait déjà la taille d’un film d’une heure et demie : ajoutez-y une demi-heure en plus pour voir enfin Batman dans ses collants !
Pourtant, avec ce nouveau montage, on ne peut pas s’empêcher de constater que l’histoire n’a pas réellement changé. La menace est la même : Steppenwolf, un méchant tout en CGI pas très content arrive pour tout détruire avec son armée de sauterelles volantes, les Paradémons, également en CGI. L’intrigue autour des Mother Boxes, ces boîtes qui assemblées font apparaître Darkseid est toujours présente et bénéficie cette durée gargantuesque pour être plus développée. À défaut d’impliquer activement le spectateur, cette intrigue réserve tout de même des séquences de combat dantesques, nous faisant davantage voyager chez les Amazones et les Atlantes.
Une refonte narrative (presque) totale
Le Snyder Cut déploie une myriade de nouvelles scènes qui, certes, densifient le récit original et le rendent plus cohérent dans son déroulement, mais l’étirent beaucoup trop en longueur. Ce qui est appréciable toutefois, c’est le nouveau traitement de certains personnages secondaires tels que Flash ou Cyborg. Ce dernier bénéficie d’un développement plus complet aussi bien dans ses motivations que dans son intégration dans l’équipe. Flash, quant à lui, a droit à plusieurs moments de bravoure qui mettent en valeur ses pouvoirs. Ces deux membres de l’équipe font dorénavant moins office de second-couteaux, sous-exploités comme Cyborg ou humiliés comme Flash sous le poids de l’humour maladroit à la Marvel qui caractérisait le Whedon Cut.
On est pourtant loin du miracle qu’avait été la version Ultimate de Batman V. Superman, qui arrivait en trois heures à insuffler au montage de la version cinéma une complexité narrative impressionnante pour renforcer l’aspect vicieux de la manipulation qui subissaient Batman et Superman, jusqu’à la mort tragique de ce dernier.
Les scènes ajoutées dans ce cut ne font pour la plupart qu’ouvrir des portes pour les deux prochains opus qui ne verront jamais le jour (#RestoretheSnyderVerse). Le visionnage peut alors être très excitant pour les fans de la première heure, heureux de voir à l’écran des caméos inédits comme celui du Joker, joué ici par Jared Leto. Toutefois, ces scènes n’apportent pas grand-chose à l’histoire, et cherchent plutôt à poser les enjeux des suites initialement prévues. Il en résulte un montage qui sera jouissif pour la plupart, mais frustrant pour certains qui ne verront là qu’une succession de scènes portant en elles des promesses qui ne seront jamais tenues.
Turbo-Snyder
En quatre heures, le réalisateur se fait plaisir. Plans iconiques, ralentis et saucisses volantes (oui)… tout y est pour en mettre plein la vue. Le film transpire littéralement le style Snyder, très graphique, que ce soit dans la composition des plans (rappelant bien souvent celle des cases d’un comics) que dans le rythme de l’action. Chaque personnage dispose de son moment qui met en avant ses capacités afin de dézinguer du Paradémon en masse et c’est assez réussi.
Flash est très certainement le personnage avec lequel Snyder s’amuse le plus. Parce qu’il ne faut pas l’oublier : le réalisateur aime beaucoup les ralentis. Quoi de mieux qu’un personnage comme Flash pour spammer la touche ralenti sur la table de montage ! L’effet est intéressant à l’image, mais lorsqu’il est utilisé abusivement, plus rien ne semble spectaculaire, alors que c’est ce qui est le plus intéressant avec ce cut : c’est sombre. Le film est noir, plus violent, plus proche de la vision « dark » insufflée par le réalisateur dès Man Of Steel. On sent que des dieux se battent et s’échangent des coups qui font vraiment mal. Et ça… c’est du Zack Snyder !
Malheureusement, ça pique très souvent les yeux. La plupart effets spéciaux ne semblent pas finis, par manque de budget ou de temps. Cet effet « toc » est présent et le réalisateur le sait bien : il doit faire avec les rushs qu’il a à sa disposition. D’où l’omniprésence de cadres serrés sur les visages, servant de cache-misère pour des incrustations en fond-vert mal réalisées. La différence est encore plus saisissante lorsque le film offre des scènes d’une ampleur impressionnante (lors de flashbacks épiques notamment) mais qui effectue par la suite une transition brutale avec ce type de plan serré. Néanmoins, on ne peut pas nier le fait que nous avons enfin devant les yeux un film de Zack Snyder dans lequel son style visuel est tout à fait reconnaissable.
Zack Snyder’s Justice League est la director’s cut d’un film malade qui n’arrive pas totalement à se débarrasser de ce qui lui faisait grandement défaut. Si l’on arrive déjà très facilement à oublier le Whedon Cut, la version de Snyder souffre tout de même d’une structure narrative bancale, boursouflée par des scènes dont on peut discuter l’utilité. Et pourtant, Snyder s’amuse, comme un enfant avec ses figurines et il est difficile de bouder son plaisir devant un tel spectacle : celui d’un auteur qui donne tout, dans une démarche de deuil vis-à-vis de son œuvre.
Critique initiallement écrite et publiée pour l'association Les Hallucinés le 20 avril 2021.