Bigelow, la papesse de l'Action
Après l'excellent "The Hurt Locker", Kathryn Bigelow s'attaque à la quête et la capture d'Oussama Ben Laden avec "Zero Dark Thirty". Avec un thème pourtant polémique, la réalisatrice tient toutes ses promesses et confirme tout son talent. J'ai donc adoré, et vais tenter d'expliquer pourquoi en essayant d'être aussi précis et organisé que ne l'a été Bigelow dans ce film.
1- Malgré une issue connue de tous, l'intrigue est extrêmement bien ficelée, le film ne s’essouffle donc à aucun moment. C'est un film d'une grande méticulosité et précision de part le choix audacieux de diviser le film en parties (thématiques) et sous-parties (lieux). Ce qui de premier abord pourrait paraître ennuyeux et académique relève à mon sens d'un choix judicieux afin de faire tenir en haleine le public pendant 2h30, sans se perdre. C'est ce sens de l'organisation et de la précision qui laisse penser qu'on devrait plus confier ce genre de films à des femmes, sans doute plus posées et qui ne cherchent pas constamment à faire joujou avec la caméra.
2- L'objectivité historique et politique du film est sans doute ce qui m'a le plus impressionnée chez Bigelow.
Premièrement, le personnage principal brillamment incarné par Jessica Chastain, nous montre une femme obsédée par cette quête, qui y consacrera 10 ans de sa vie. On se doit donc de saluer la performance de Chastain, qui donne à son personnage toute la stature pour faire reposer une intrigue aussi lourde sur un brin de femme à l'apparence fragile. La prouesse néanmoins est de faire un film de 2h30 avec un personnage dont on ne sait absolument rien. La caméra nous l'impose directement, dès la première scène et toutes les tentatives d'explorations intimes de ce personnage sont avortées (explosions, diversions...). Cette femme n'est donc caractérisée que par son obsession de traquer Ben Laden. Mal à l'aise face à la torture au tout début, le personnage évolue et a moins de scrupules à en faire l'usage par la suite. Excédée et exténuée par cette quête, elle affirme au final ne vouloir qu'une seule chose: la mort de Ben Laden. Jessica Chastain représente la bureaucratie américaine et son évolution mais est en aucun un héros; ce qui fait toute la particularité du film.
Deuxièmement, Bigelow en scène d'ouverture fait le choix de revenir pendant une petite minute sur le 11 septembre, avec les témoignages sonores entrecoupées de certaines victimes sur un fond noir. La réalisatrice plante donc le décor: elle n'est pas là pour faire dans l'émotion. Cette objectivité se fait surtout ressentir au moment de l'assaut final sur la maison de Ben Laden; échappant finement à l'écueil du patriotisme. D'abord, on tue Ben Laden comme on tuerait n'importe qui, alors qu'on aurait bien pu nous livrer un spectacle sensationnel. Mais rien de cela. La capture de Ben Laden nous laisse pantois et le regard de Chastain n'exprime qu'une seule chose: "IL EST MORT...ET ALORS ?". La scène finale et le retour brutal du personnage à la solitude après 10 ans de traque n'exprime aucune héroïsation, mais seulement un soulagement. C'est donc l'absence totale de patriotisme pour un sujet d'actualité aussi sensible et chaud qui fait la force de l'intrigue. L'objectivité voulue du film pose par ailleurs des questions essentielles: Que nous assure la mort d'Oussama Ben Laden ? Peut-il y avoir un réel changement géopolitique suite à cette capture ? Au delà d'une reconstitution historique, l'intelligence de Bigelow est de nous livrer à une certaine réflexion et plusieurs questionnements.
La torture made in USA fait encore débat aujourd'hui et reste un sujet extrêmement sensible d'autant que les américains sont encore en "guerre contre le terrorisme". Ici, l'usage de la torture n'est pas soumis au jugement. La réalisatrice ne la dénonce pas et en fait encore moins l'apologie. Elle relate un fait: la torture a été privilégiée et continue de l'être dans une moindre mesure. Elle n'est ni justifiée ni injustifiée.
4- Il faut le rappeler, Bigelow est une cinéaste de l'action. Subjugué par son précédent "The Hurt Locker", j'ai découvert une réalisatrice profondément amoureuse de sa caméra qui filme l'action comme personne ne le fait. Et c'est cette maîtrise absolue de la caméra et des choix de mises en scène qui permet de faire tenir le public en haleine, faisant planer un suspense à toute épreuve. Les 30 dernières minutes du raid final sont d'une beauté saisissante, les décors, costumes et accessoires sont impressionnants. Bigelow est non seulement la meilleure cinéaste d'action contemporaine mais fait de la guerre un élément éminemment esthétique.
Voilà, je terminerai par dire à quel point je suis admiratif de la capacité du cinéma américain à prendre du recul face à des évènements aussi sensibles et récents.
CLAP CLAP MISS BIGELOW.