Alien: Isolation
7.4
Alien: Isolation

Jeu de Creative Assembly et Sega (2014PC)

hommage cinématographique et peur par le gameplay

J’avance prudemment dans la pénombre du bureau, il faut que je trouve le code d’ouverture de porte dans le terminal informatique. Soudain mon détecteur de mouvement s’affole et j’entends un pas lourd se rapprocher dans le couloir. Je me précipite sous la table et attends. Il entre, il me cherche. Incapable de me trouver, il finit par sortir avec un grognement de dépit ; j’en profite pour activer l’ordinateur et
fouiller les dossiers, mais j’entends aussitôt un rugissement … Je n’ai que le temps de lever les yeux de l’écran pour me trouver face à une gueule écumante. Je suis déjà morte.


Ce genre de situation se produit fréquemment dans Alien : Isolation, le dernier jeu de The Creative Assembly qui, oscillant entre hommage révérencieux, application de recettes classiques et expérimentation, a pris (et gagné) le pari d’adapter l’univers fondé en 1979 par le film de Ridley Scott.


Échappée en terrain connu


Entre clins d’oeil plus ou moins appuyés à Blade Runner et inspiration manifeste de Gravity pour les scènes à l’extérieur du vaisseau, le jeu est pétri de références cinématographiques, mais c’est évidemment du Huitième Passager qu’il prend la plus grande partie de sa matière. La texture d’image imitant le tube cathodique utilisée pour les crédits de début nous renvoie immédiatement à cette merveilleuse époque où les vaisseaux intersidéraux fonctionnaient avec des télex et des minitels : on est prêts pour une épopée spatiale ample et lente, digne des années 80.


Le casting de personnages ne nous prend pas non plus au dépourvu avec Amanda Ripley qui, en tant qu’ingénieure dans une station en déliquescence , dispose d’emblée d’une autorité similaire à celle de sa mère ; Taylor, la jeune femme paniquée évoquant Lambert ; et le lymphatique Samuels qui rappelle les robots Ash et Bishop. L’héroïne, soumise au destin maternelle, revit même en explorant des environnements directement inspirés des travaux de Ron Cobb, Chris Foss et Jean Giraud des évènements marquants du film. Je m’étais par exemple toujours demandé ce qui se serait produit si Ash avait réussi sa tentative d’assassinat au magazine roulé … maintenant je sais.


Cependant, les hommages les moins tape à l’oeil sont sans doute ceux intégrés au gameplay. L’ouverture du jeu par l’éveil d’Amanda Ripley place ainsi le joueur, en pleine phase d’apprentissage des mouvements et de l’environnement, dans le même état de désorientation que les personnages du film sortant de leur sommeil artificiel. De même, le système de création d’objets de récupération, évoquant celui de The Last of Us, reproduit la débrouillardise fébrile de l’équipage du Nostromo improvisant sur le tas les outils de sa survie.


Cette inspiration vidéoludique n’est pas la seule et l’équipe de The Creative Assembly, plus habituée aux jeux de stratégie qu’aux survival horror, s’appuie bien souvent sur les recettes héritées des ainés, qu’il s’agisse de Dead Space 2 pour la narration architecturale de la station délabrée (un juste retour des choses étant donné ce que cette série doit à la saga Alien) ou de Amnesia : The Dark Descent pour la partie de cachecache parsemée de puzzles. La progression est donc assez convenue, entre réactivation des systèmes électriques et déblocage de portes, (d’autant que le jeu nous fait des systèmes électriques et déblocage de portes, (d’autant que le jeu nous fait régulièrement repasser dans des zones déjà visitées) et si les QTE nécessaires à certaines actions alourdissent les phases d’exploration, elles prennent leur légitimité dès qu’un ennemi rôde dans la zone, car la lenteur ou l’erreur d’exécution peut rapidement devenir fatale.


Dans l’espace, tout le monde vous entendra crier


Alien : Isolation n’est en effet pas qu’un superbe musée interactif et présente des apports relevant parfois de choix risqués. Dans le mode de difficulté maximum, celui recommandé par le jeu, la station labyrinthique ne pardonne aucun faux pas et la parcourir devient véritablement épuisant. Les puzzles, la fabrication d’objets, la consultation des terminaux informatiques et même les sauvegardes se déroulent en temps réel, c’est-à-dire avec le risque de voir un ennemi surgir dans ce moment de
vulnérabilité totale. Il faut donc rester en permanence vigilant, évaluer chaque situation, déterminer les risques de chaque geste … une expérience de survie intense mais parfois frustrante, d’autant que vous pouvez perdre une bonne demi-heure de progression éreintante sur une mauvaise rencontre. Alien : Isolation cherche une peur par le gameplay et se montre impitoyable : les ennemis ne sont pas (seulement) effrayants parce qu’ils éveillent nos angoisses ou que l’on projette sur eux une menace fantasmée, ils peuvent vous imposer en un clin d’oeil un retour à un lointain point de sauvegarde.
L’équilibre est alors précaire entre la peur et la frustration de ce die and retry, et si Amnesia perdait une bonne partie de ses effets à partir du moment où le joueur se rendait compte que la mort n’avait à peu près aucune incidence, certains passages de Alien : Isolation finissent par vous faire davantage enrager que frémir quand vous les rejouez pour la dixième fois.


Il faut donc apprendre et s’adapter pour survivre. On comprend par exemple rapidement qu’il est inutile de chercher à courir sous les balles d’un groupe de survivants hostiles ou d’attaquer un robot actif qui aura tôt fait de vous étrangler au corps à corps et qui épuisera vos munitions à distance. Mieux vaut utiliser un leurre sonore ou une torche pour les attirer ailleurs et se faufiler, même si cela implique que la menace est toujours présente. Or si on peut étudier les rondes de ces ennemis et
anticiper leurs réactions, l’apparition de l’alien (que le jeu ménage soigneusement) change la donne car la moindre de nos actions peut alors avoir des conséquences imprévues et douloureuses.


Le joueur n’a aucun moyen de lutter contre cette créature qui le guette en permanence. Même le lance-flamme, obtenu tardivement, ne permet que de l’éloigner temporairement. La détonation d’un revolver, l’agitation d’un corps-à-corps, le son d’un pas précipité … tout risque de l’attirer et on le voit alors s’extirper d’un conduit ou avancer lentement dans un couloir. Il ne reste qu’à se cacher ou s’éloigner le plus rapidement et le plus discrètement possible, la bête toujours au coin de l’oeil, le son de ses pas toujours au creux de l’oreille ; car contrairement aux autres ennemis, les réactions de l’alien sont presque entièrement non-scriptées, c’est-à-dire imprévisibles. Il peut subitement se retourner, revenir dans une pièce qu’il vient de quitter ou passer sans raison apparente de la marche à la course. Son comportement changera à chaque nouvel essai. Cette particularité le rend aussi terrifiant qu’injuste et, comme rien ne prédestinait Ellen Ripley à être l’héroïne et unique survivante du Nostromo, c’est bien souvent la chance qui déterminera si le joueur incarne un premier rôle victorieux ou un second rôle dévoré alors qu’il essayait de déverrouiller une porte.


C’est ici que le jeu se montre le plus exigeant et parfois le plus frustrant : si le bruit du détecteur de mouvement ou la flamme d’un cocktail Molotov tenu en main peuvent révéler votre position et entrainer une mort inévitable, il peut suffire de passer le mauvais sas au mauvais moment pour se retrouver face à la créature. Pas étonnant dès mauvais sas au mauvais moment pour se retrouver face à la créature. Pas étonnant dès lors que le jeu délaisse ce système pour ses dernières phases et construise son final en s’orientant davantage vers le modèle du train fantôme, plus scripté, plus fourni en action, plus facile à maîtriser. C’est pourtant cet aspect aléatoire et imprévisible du monstre qui, malgré ses défauts, offre les moments les plus intenses et la plus grande sensation d’accomplissement. Si les effets ont tendance à s’émousser avec la fréquence des apparitions de la créature, c’est ici que se joue Alien : Isolation, quand il explore la frontière entre peur et frustration, entre création d’une menace impossible à maîtriser et injustice des règles du jeu.


Ouverture de la boite noire


Comme les enregistrements de l’équipage du Nostromo qu’Amanda cherche sur la station Sevastopol, le jeu a conservé des fragments vifs de l’esprit du film de 1979. On y retrouve un monde façonné par de grandes entreprises, policé en surface mais habité par une violence et une voracité extrême. Les slogans et les publicités placardés aux murs de la station paraissent comiques et dérisoires quand l’ombre du monstre qui devait être capturé et monétisé les recouvrent. Les Working Joes, robots mis au service des habitants de la station par la compagnie, sont parfaitement calmes et courtois, même lorsqu’ils tentent de vous fracasser le crâne pour avoir pénétré une zone nonautorisée. L’incertitude domine : le joueur ne sait jamais si le survivant qu’il aperçoit est pacifique ou s’il va chercher à l’abattre pour lui voler son matériel, si le Working Joe va l’aider à actionner une machine ou essayer de l’étrangler. Dans cet univers, Amanda Ripley, indépendante et volontaire, incarne une femme forte évitant l’écueil de l’archétype viriliste transposé au féminin.


Face à elle, l’alien, s’il hérite en partie de la vision féroce et sauvage de James Cameron, conserve également l’étrange alchimie de peur et de fascination qui le Cameron, conserve également l’étrange alchimie de peur et de fascination qui le caractérisait chez Ridley Scott. Bien qu’il le redoute profondément, le joueur attend aussi avec impatience de pouvoir observer ce monstre mythique arpenter les couloirs de la station. Le gameplay souligne cette ambiguïté puisqu’il impose à la fois de se cacher et de guetter les réactions de la créature pour pouvoir la contourner. On se retrouve donc à fixer les mouvements du xénomorphe qui peut d’un geste mettre fin à la partie et qui, au-delà du contraste entre le design organique de Giger et celui du vaisseau, parait d’autant plus étrange que son comportement imprévisible tranche avec l’univers réglé du jeu. A la fois vaguement semblable au joueur en temps qu’électron libre évoluant dans le système et absolument hostile, parfois absent mais toujours prêt à surgir, il devient une sorte d’alter ego cauchemardesque accompagnant Ripley au fil de ses tentatives pour s’enfuir de Sevastopol.


Il en résulte une ample épopée spatiale, méticuleuse dans son esthétique visuelle et sonore, exigeante et nostalgique, parfois un peu maladroite mais extrêmement intense, dont on ressort le souffle court.

blackjack21

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