En bref : c’est un bon pactole. Un RPG d’une petite centaine d’heure, conçu avec de la re-jouabilité en tête, de la coop, un bon système de combat et une écriture correcte.
C’est un jeu massif, pas dans le même sens qu’un monde ouvert Bethesdien ou Ubisoftien : ici, c’est par la complexité narrative et mécanique plutôt que par le surplus de contenu. Larian n'a pas exploité la licence Donjon & Dragons pour rien, c'est l'un (le?) seul jeu de son genre qui simule aussi bien le fait de jouer à un JDR : il y a ce même sentiment de flexibilité, qu'on peut résoudre chaque situation de vingt façons et que toute ramification sera tenue en compte, toute originalité récompensée.
Niveau narratif, on peut difficilement faire plus classique. T'as un macguffin qui te protège, un macguffin qui va détruire le monde, et des méchants très très méchant.
En gros, c’est de l'écriture et du lore de D&D classique. Donc ça a peu d’identité et c’est pas très intéressant, un glabiboulga de folklore européen avec des noms difficiles à prononcer. Ça m'a quand même bien empêché de m'impliquer dans l'univers, mais bon, ça serait malhonnête de demander à ce qu'un projet d'une telle envergure ait la plume de Planescape: Torment.
Là où l'écriture brille, c'est au niveau des compagnons.
Le système est similaire aux Bioware, à l’exception que les intrigues de chacun se déroulent tout au long du jeu et pas dans des quêtes d'une demi-heure. Comme le nombre de compagnons que tu as sur le terrain est limité, tu t'investis naturellement plus chez certains que d'autres en fonction de ton personnage, surtout que chacun juge tes actions et peut se barrer de façon permanente si trop contrarié.
Les arcs narratifs sont franchement intéressants, bien écrits et te poussent constamment à faire des choix difficiles, à jongler avec l'influence que tu exerces sur eux tout en respectant leurs motivations.
Et bravo Larian pour l'approche de la nudité/sexualité qui est cool pour un jeu-vidéo, ça arrive à être à la fois moins puritain et moins infantile que la majorité de l'industrie.
J'ai parlé de sa flexibilité plus tôt, et c'est surtout grâce au système de dialogue, qui bien que classique est vraiment abouti. Chaque interaction offre des dialogues différents, souvent avec des réponses uniques en fonction de votre race, classe, vos compétences ou même des infos que vous avez lu dans un livre. Le jeu te laisse très souvent le moyen de parler à peu près n'importe qui, que ça soit des vieux gobelins, des cadavres, des animaux...
C'est extensif, et un vrai plaisir. Surtout quand chacun des dialogues est accompagné de cinématiques, remplaçant la classique boite de texte sur laquelle tu as tes yeux rivés pendant 80% de tous les autres CRPG. Après, ça reste très peu exploité, car c'est surtout des plans par dessus l'épaule qui s'enchainent. Quand on compare ça avec The Witcher 3 (8 ans le bébé quand même) qui offre des mises en scène magnifiques, ça fait un peu mal.
Mais le cheveux dans la soupe pour moi, c’est le rythme. Légers spoilers sur la structure du jeu :
- L'Acte 1 est excellent. C'est complet et complexe. Chaque recoin de la carte à des endroits d’intérêts, où tu y es sûr qu’une quête au minima intéressante s'y trouve. Beaucoup d'interactivité et d'embranchements possibles. Il est disponible depuis l'accès anticipé, donc naturel qu'il soit bien abouti.
- L'Acte 2 est beaucoup plus restreint. Il se concentre sur un thème d'horreur qui est sympa pendant un temps, mais qui s'étire trop longtemps sans jamais permettre la même flexibilité que l'acte 1 (difficile de faire la même avec des fantômes). Surtout que la majorité des interactions sont axées sur qui tu as aidé pendant l’acte 1 – mais bon quand on en n'a rien à foutre de 80 % des persos dudit acte, c’est compliqué. Ça aurait dû être la conclusion du premier, pas une section à part entière de 15 heures qui, perso, m’a quand même bien refroidit.
- L'Acte 3 précipite les choses, à la fois sur le côté narratif et technique (pas mal de bugs plus ou moins gênants). C’est surtout le côté narratif qui me dérange. À peine arrivé à Baldur’s Gate, on a les persos principaux qui nous démarchent pour faire alliance dans la bataille finale, comme si Larian nous disait de se préparer à dégager de leur baraque à peine arrivé dans la pièce maîtresse.
Loin de dire qu'il n'y a rien à faire dans cet acte - il est tout aussi fourni que le premier. Mais chaque quête proposée se concentre sur l'affrontement final, alors que j'aurais vraiment aimé prendre mes marques dans la ville éponyme pendant au moins quelques heures avant d'être jeté dans des intrigues apocalyptiques à chaque coin de rue.
La ville en elle-même est magnifique. C'est bien fourni en (bon) contenu - bien plus que ce qu'on pourrait croire au premier abord vu sa taille. J'peux dire sans me mouiller que c'est la meilleure zone urbaine dans un CRPG en date.
C’est quasiment la même structure que Divinity: Original Sin 2. Et c'est pas un mauvais choix de la part de Larian, car la majorité des discussions autour du jeu pendant ces deux premières semaines sont concentrées sur l’acte 1 – le plus abouti. Mais sur son quasi-million de joueurs, je suis sûr qu'une bonne partie – notamment le public pas habitué aux CRPG – aura la flemme de continuer au-delà de l’acte 2.
On s'en souviendra sûrement comme le jeu qui a réussi à faire apprécier les (C)RPG à un nouveau publique – et c’est commandable, car loin d’être une mince à faire. Mais pour les plus aguerris du genre, je serais étonné que la postériorité s’en souvienne avec le même égard que les premiers Baldur’s Gate, que d’un Planescape Torment, qu’un Morrowind, New Vegas, The Witcher 3 ou Disco Elysium.
Captures d'écran : https://imgur.com/a/O380AiO