BioShock Infinite
7.5
BioShock Infinite

Jeu de Irrational Games et 2K Games (2013PC)

Chers amis je suis ému. Emu car mes sens et mon intelligence sont témoins d'un exploit créatif rare. Celui de voir un jeu, dont le genre est le plus représenté toutes plateformes confondues depuis une quinzaine d'années, s'exécuter avec une grâce et une conviction tout simplement hors du commun. Autant se l'avouer tout de suite, Bioshock Infinite ne fera pas date d'un simple point de vue technologique... mais d'un point de vue artistique, le débat est ouvert.

Là, vous sentez venir l'argumentaire de hipster. Je revendique la dimension ludique de l'art et n'exclue pas que le jeu vidéo puisse en être une légitime manifestation blablabla... who cares ? Le véritable enjeu, c'est celui de la création, du plaisir (car il s'agit d'un divertissement) et, n'en déplaise à certains, de la narration. Et je pense, très très fort, que nous avons ici un FPS solo qui franchit un nouveau cap sur tous ces tableaux simultanément... ce qui signifie qu'il s'agirait, en clair, du meilleur FPS narratif en solitaire sorti à l'heure actuelle. Rien que ça.

Bioshock premier du nom nous avait déjà bien mis dans la tronche à l'époque, mais malgré tout son génie (car génie il y a), il reste victime de sa structure trop systématique et de sa conclusion bien foireuse qui ne manque pas de faire retomber la pourtant superbe mise en abîme sur laquelle il fonde son écriture. Ici, le systématisme est intégralement balayé au profit d'une progression linéaire parfaitement rythmée. Pardon, "parfaitement rythmée" est devenu une expression très commune aujourd'hui dans le jargon de la critique vidéoludique ce qui m'oblige à préciser le fond de ma pensée. Quand je dis "parfaitement rythmée", c'est parfaitement rythmée. Les concepteurs n'hésitent pas à vous faire lâcher le flingue pendant plusieurs dizaines de minutes, sans que cela ne nuise au plaisir de jeu. Pour cause, le syndrome du décors copier/coller est pour ainsi dire absent de l'intégralité de la progression (une douzaine d'heures de jeu en Hard sur PC). Les artistes d'Irrational Games ont méticuleusement travaillé sur l'éclairage, la modélisation et la signification d'absolument tous les environnements, si bien qu'en terme de finition c'est un sans faute du début à la fin de l'aventure.

En parallèle de ce soin évident apporté à la gueule du jeu et à son univers, la vigueur du level design ne cesse de s'accroître crescendo jusqu'à atteindre son paroxysme dans une séquence finale... d'anthologie. Pourtant certains choix de conception peuvent sembler malvenus et surtout, rétrogrades aux vues des possibilités de l'opus original. Déjà, la capacité de ne porter que deux armes au maximum aura pour premier effet d'enrager les joueurs PC avant qu'ils ne réalisent la souplesse avec laquelle la gestion des Vigors (équivalent des plasmides) a été pensée. Le personnage jouable (PJ) est bien plus polyvalent que dans le précédent opus et il n'est désormais plus nécessaire de passer régulièrement dans les menus pour optimiser ses sorts (passifs et actifs). Résultat, le jeu n'accuse aucun temps mort et peut se concentrer sur l'action et la narration. Ces derniers communiquent d'ailleurs particulièrement bien, notamment grâce au fameux personnage non jouable (PNJ) qui vous accompagne.

Elizabeth, la PNJ "vivante", prend la responsabilité des serrures (fini les piratages intempestifs), vous jette aléatoirement des munitions, des soins, du "Salt" pendant les batailles et grâce à une aptitude de son cru, peut même faire évoluer le terrain de façon dynamique... sans que cela ne nuise à la lisibilité frénétique des combats. Au contraire, cela les dynamise à un point inattendu et même, inespéré. Malgré les déplacements assez balourds du PJ (pas de glissade, ni d'esquive, à l'ancienne), l'utilisation des Vigors couplé aux fameuses skylines (et crochets) disséminés un peu partout permet une domination à la fois furieuse et méthodique des arènes de combat. Exaltant.

Enfin, le plaisir intellectuel d’arpenter cet univers ultra-parodique et délicieusement anachronique est constamment nourri par un sens du détail dingue... juste dingue, aussi bien au niveau du graphisme et des animations que de la cohérence de l'univers. C'est un travail phénoménal qui a été abattu, et je ne peux qu'applaudir le résultat qui me laisse encore sur le cul et n'est absolument pas à tempérer sous prétexte qu'il s'agit d'une "grande licence" AAA. Atteindre cette dimension onirique est en soi un exploit. La rendre jouable et riche de sens... c'est du génie. Juste du génie.


PART 2 (31/03/2013) :

Cela fait près d'une semaine que Bioshock Infinite est sorti et il est désormais temps pour moi de lâcher un petit éloge "spoiler-full" sur ce que j'ai volontairement éludé dans la première partie de mon discours : la narration.
Ce qui va suivre est dédié à ceux qui ont achevé le jeu, et va simplement mettre au clair ce que j'ai aimé dans les propos du dernier jeu d'Irrational Games.

Spoilers, do NOT cross !



Maintenant que nous sommes entre personnes ayant fini le jeu (l'ayant apprécié ou non, ou du moins, étant suffisamment intéressés pour prolonger la discussion), il ne vous a pas échappé qu'à l'image de son ancêtre, l'expérience narrative de Bioshock Infinite se fonde sur un twist. Je vais être honnête avec vous, je ne suis pas particulièrement friand de ce dispositif étant donné sa nature radicale dans son succès comme dans son échec, et si j'ai apprécié celui-ci, je comprends qu'il puisse être lourdingue aux yeux de nombreux joueurs. Plus que son efficacité au stade de la révélation, c'est dans son apparent discours que le jeu a une fois encore fait mouche dans mon petit coeur. Je ne suis pas de ceux qui vont théoriser sur le sens profond des films de Lynch, ce qui ne m'empêche pas d'adorer l'oeuvre du réalisateur et d'y trouver un véritable plaisir intellectuel et sensoriel. C'est pareil pour un jeu comme Bioshock Infinite. On pourra peut être débattre des heures sur les tenants et les aboutissants de cette histoire de dimensions parallèles, relevant les multiples contresens qui semblent se profiler à mesure que chacun avancera sa petite théorie sur le fin mot de l'histoire. Ce qui m'importe à moi, c'est ce que le jeu, dans sa fausse complexité, a généré dans mon esprit au moment où j'y jouais et le finissais, car en définitive, c'est ça qui restera de mon expérience sur le long terme.

Ce que j'ai vu dans cette séquence narrative finale c'est, pour commencer, une pleine acceptation du registre fantastique dans lequel le jeu s'engouffre petit à petit sans oser franchir radicalement le pas. Avec cette conclusion, cela devient une évidence, on navigue en pleine hésitation logique entre le naturel et le surnaturel, et il faut dès lors exclure toute analyse pragmatique des évènements, qui conduirait irrévocablement à la frustration du classique paradoxe de l'oeuf et de la poule, pour se concentrer sur la valeur des personnages dans le récit et ainsi comprendre et ressentir la portée tragique de ce dénouement pour le moins pessimiste. Elizabeth est le personnage sur lequel l'attention du joueur se porte le plus tout le long du récit. Qu'il le veuille ou non, l'histoire est conduite sur le cheminement de ce personnage auprès duquel Booker n'est finalement qu'un figurant de choix. Cela étant dit, la thématique du personnage de fiction qui s'émancipe de sa condition initiale pour gagner une certaine autonomie est un thème auquel je suis très réceptif (Nier, Silent Hill : Shattered Memories pour ne citer qu'eux) et Elizabeth l'incarne à merveille. Est-ce de la branlette intellectuelle que d'être ému par ce principe narratif ? A ceux qui disent oui, je trouve ça carrément méprisant.

De la même façon que dans le dernier Silent Hill de Climax Studios, le PJ et le joueur s'effacent afin de faire exister le drame d'un personnage dont nous n'avons finalement incarné qu'une pensée, qu'un fantasme, un possible. Situer la conclusion parfaitement fantastique de ce récit en parallèle de l'enfance, de l'isolement et de l'imaginaire, est une très belle décision que je soutiens pleinement et qui n'est, contrairement aux dires de certains, aucunement surfaite. Je maintiens donc fermement mon 10/10 et ne condamne évidemment en aucun cas ceux qui n'ont pas aimé le jeu. Mais par pitié, cessez de dire que les gens qui y trouvent quelque chose de beau, se masturbent, sont dans l'erreur ou pire encore, sont aveuglés par un artifice dont ils verront soi-disant les limites avec le temps. Cessez de vouloir penser pour les autres, pensez plutôt avec les autres.
PekJB
10
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Meilleur représentant du genre sur la gen 7., Play it the hard way !, , Les meilleurs FPS solo et Les meilleurs jeux vidéo de 2013

Créée

le 27 mars 2013

Modifiée

le 31 mars 2013

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PekJB

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