Je déteste les jeux de cartes à collectionner. Ils m'apparaissent comme un piège à thune même pas camouflé réservé aux enfants ou aux débiles légers maniaques de l'optimisation et atteints de collectionite. Scrolls m'a enseigné deux choses. Premièrement, un TCG (Tradable Card Game) avec un système économique honnête c'est possible. Deuxièmement, les TCG ne s'adressent pas au public que j'imaginais, mais plutôt aux idiots-savants obsessionnels avec un sens sadique empreint de créativité.
Une des meilleures idées de Mojang est d'avoir fait un jeu-vidéo de cartes à échanger en justifiant l'utilisation du médium par le gameplay. L'élément central de Scrolls qui le différencie des autres TCG, c'est son plateau. Chaque joueur possède un échiquier de 3 colonnes par 5 lignes faisant face à celui de l'adversaire. En jouant une carte, l'unité prend vie sur la case hexagonale choisie et attaquera la plupart du temps droit devant elle. Derrière chaque ligne se trouve une idole, détruisez-en 3 sur les cinq et c'est gagné. Voilà, c'est tout. Rien d'extraordinaire, pourtant ce plateau insuffle à Scrolls une dimension stratégique trouze-mille fois plus poussée que la majorité des TCG (coucou Heartstone). Il y a 2 types d'unités : les créatures qui peuvent se déplacer d'une case par tour et les structures qui ne peuvent plus bouger une fois posées ; le placement est donc très important, surtout que bon nombre d'unités renforcent les alliés adjacents ou sur une même ligne, voire affaiblissent l'unité adverse sur la ligne d'en face, sans parler des effets de zone qui rendent une partie du plateau dangereuse, ou la possibilité de transformer une créature en pestiféré dont l'adversaire devra éloigner toutes ses autres unités pour éviter la propagation du mal.
Adapter Scrolls en TCG physique serait vain car la prise en compte des mécaniques liés au plateau et de tous les effets de cartes qui en modifient les règles rendrait le jeu infiniment trop complexe. Que les joueurs les moins téméraires se rassurent face à cette complexité apparente, ça se joue très bien en pratique puisque l'ordinateur calcule tous les effets, des bonus de déplacement au poison en passant par les synergies entre unités. Le jeu est très tactique, riche et subtil mais accessible grace à la machine qui gère la surcouche de calcul. Mojang justifie ainsi l'utilisation du médium jeu-vidéo pour son TCG, contrairement à, par exemple, au hasard, Hearstone, qui pourrait quasiment être adapter tel quel en TCG physique (une version officieuse a d'ailleurs déjà été faite).
En parlant d'Heartstone, l'autre différence majeure avec Scrolls est le modèle économique. Heartstone est free-to-play et tout est orienté autour de cette décision, tout est fait pour vous aguicher très vite et vous pousser à finir par sortir la CB. Mojang a pris le parti de faire de Scrolls un jeu payant (une démo gratuite est dispo, le jeu complet coûte 5$), et c'est surement la deuxième foutue meilleure décision qu'ils aient prise. Des trouzaines de possibilités de gagner de l'or s'offrent à vous, or qui vous permettra de débloquer des cartes. Aucune raison de vous pousser à cracher au bassinet vu que vous avez déjà payer, on gagne donc de l'or que l'on joue en solo ou en multi, victoire ou défaite, et le gain de gold par jour n'est pas limité. Encore mieux, le libre échange de cartes et de gold entre les joueurs est autorisé et possible directement ingame via un fil de discussion dédié. Ainsi, il n'est pas rare pour un rookie de tomber sur un joueur aguerri généreux qui lui donnera volontiers une poignée de cartes rares pour l'aider à démarrer. Ce qui m'amène au dernier point : la communauté. En un peu moins de deux ans et plus de 1000 parties, je suis tombé seulement deux fois sur un joueur désagréable. Encore une fois, le modèle économique n'y est surement pas pour rien et le prix d'accès, même minime, filtre une bonne partie de joueurs toxiques (ce n'est pas pour rien qu'Heartstone n'a pas de chat ingame).
Scrolls offre des parties tactiques intéressantes, souvent serrées, pleines de suspense et de retournements inattendus de dernière minute. La richesse de son gameplay rend la construction de deck étonnamment stimulante, et pousse vraiment à être inventif aux vues des synergies possibles. Le gain régulier d'or, de cartes et la liberté laissée au joueur d'en disposer comme il l'entend sont réellement rafraîchissantes. On pourrait reprocher à Scrolls son prix d'accès (5$, autant dire une ruine), ses parties trop longues (20min en moyenne), et quelques aspects visuels ou sonores qui pourraient être plus peaufinés. Il ne fait d'ailleurs aucun doute que beaucoup de joueurs lui préfèrent Heartstone qui est plus accessible, propose des parties très courtes et tout un attirail visuel et sonore de free-to-play à la Blizzard, millimétré, capable de capter l'attention d'un enfant de 8 ans hyperactif (tout explose en un feu d'artifice de paillettes et d'hurlements de félicitations à chaque clic).
Scrolls et Heartstone sont très différents. Sans surprise, le jeu de Blizzard a trouvé son public. Rien d'étonnant vu le marketing monstre. J'ose espérer que les joueurs un tant soit peu exigeants sauront trouver Scrolls, malgré son marketing anémique. Compte tenu de la satisfaction que procure un tel gameplay composite, c'est tout le mal que je leur souhaite.